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Wednesday, October 8, 2014

Cancer de la prostate : les robots poussent-ils à l’intervention ?

Paris, le samedi 4 octobre 2014 – 

De plus en plus, en entendant les mots « Da Vinci », le célèbre peintre italien du XVIème siècle ou le best seller ésotérique du XXème ne nous viennent pas nécessairement d’abord à l’esprit. Le formidable succès de l’appareil conçu par la société Intuitive Surgival, qui depuis le début des années 2 000 envahit les blocs opératoires américains, européens et du monde est parvenu à faire connaître le robot chirurgical « Da Vinci » au-delà de la sphère des initiés. Rançon de la gloire, le dispositif n’a pas que des partisans. De plus en plus, aux Etats-Unis, comme en France, des voix s’élèvent pour dénoncer les dérives liées au robot star.

Des interventions non justifiées pour amortir le prix élevé du robot ?

Ainsi, dans les colonnes du Monde au début du mois de septembre, le professeur Abdel-Rahmène Azzouzi, chef du service d’urologie du CHU d’Angers prenait la plume. Il affirmait notamment dans cette tribune qu’en raison de la nécessité d’amortir le coût important de l’investissement d’un robot, les chirurgies du cancer de la prostate, souvent non justifiées, avaient explosé. « Ainsi, entre 2002 et 2010, le nombre moyen de systèmes de chirurgie robotique par état américain est passé de 2 à 26,3. Dans le même temps, le taux de chirurgie a augmenté de 37,5 % à 52,4 % et ce principalement aux dépens de patients atteints de cancer de la prostate à un state très localisé » citait notamment le docteur Azzouzi se référant à des communications faites lors du congrès de l’American Urological Association en mai. Le praticien évoquait par ailleurs les recommandations faites en 2011 par l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de santé soulignant pour amortir les prix des robots la nécessité d’augmenter le nombre d’interventions ! Dans cette dénonciation, le professeur Azzouzi pointait du doigt l’absence coupable de réaction dans ce dossier de l’Association française d’urologie (AFU). « Elle n’a pas assumé son rôle de société savante » jugeait ainsi sévèrement le praticien.

Les Français (encore une fois) bien différents des Américains

Ce n’est pas la première fois que l’AFU doit faire face à la polémique. La position qu’elle a longtemps défendue en faveur du dépistage systématique du cancer de la prostate lui a en effet valu de nombreuses critiques et inimitiés. Aussi, n’a-t-elle pas laissé passer cette nouvelle attaque. Ce 30 septembre, elle a adressé au Monde son droit de réponse. Principal argument avancé contre la thèse soutenue par le professeur Abdel-Rahmène Azzouzi : les chiffres dont il se fait l’écho concernent les Etats-Unis et ne seraient pas transposables à la France. « En ce qui nous concerne, il est à noter que le nombre d’ablations de la prostate en France est en baisse depuis ces dernières années : de 27 000 procédures en 2007,  nous sommes passés à 17 800 en 2013 » avancent les professeurs Jean-Luc Descotes et le docteur Christian Castagnola respectivement président et vice président de l’AFU. 
Les deux praticiens poursuivent en rappelant que dans ses recommandations sur le traitement du cancer de la prostate réactualisées en 2013, l’AFU ne fait nullement de l’utilisation du robot une méthode de prédilection. Enfin, ils s’attèlent à une défense en règle de l’AFU, réaffirmant son statut de « société savante » s’illustrant notamment par sa participation à diverses études scientifiques.

Un an plus tôt…

Le débat s’arrêtera-t-il là ? Pas si sûr, car il ne date pas d’aujourd’hui. Il y a un an déjà, alors qu’aux Etats-Unis une étude publiée dans le Journal for Health Care Quality  évoquant une sous déclaration d’incidents liés au robot Da Vinci et l’existence possible de décès induits par sa mauvaise utilisation défrayait la chronique, plusieurs spécialistes s’étaient exprimés en France. Dans Libération, le professeur Michaël Peyromaure, chef du service d’urologie à l’hôpital Cochin de Paris évoquait ainsi lui aussi l’existence d’une inflation du nombre d’opérations pour amortir le coût du robot. « Ce robot, il faut bien le rentabiliser. Alors on abuse. On le fait tourner, beaucoup trop, d’autant qu’on ne peut pas l’amortir. Tout le monde est sous pression ». Mais là encore, on lui rétorquait l’impossible transposition de l’exemple américain. « Les Américains ont mis trop de robots, partout, c’est autre chose » assurait ainsi le professeur Alexandre de la Taille, chirurgien urologue à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil pour sa part fervent partisan de l’utilisation de Da Vinci. D’autres assuraient encore que cette question de la rentabilité ne se posait pas en raison d’accords particuliers. A la clinique Toulouse Lautrec, le chef du service d’urologie, Olivier Brault affirmait ainsi cité par la Dépêche du Midi : « Sur chaque opération on perd 200 euros, c’est un accord qui est passé entre les chirurgiens et la clinique », donc « plus on opère, plus on dépense », un mécanisme permettant d’éviter l’éventuel caractère inflationniste de cette nouvelle technique.

Sous déclaration des incidents liés au robot : pas de ça chez nous !

Mais outre les interrogations concernant une éventuelle augmentation  non justifiée des interventions, quid des risques ? Là encore, après la publication de l’étude américaine, beaucoup avaient estimé que la France n’était pas concernée par un phénomène similaire de sous déclaration. Si une telle situation existe, elle ne concerne pas spécifiquement la chirurgie robotique estimait par exemple pour Destination Santé, le Dr Alexandre Le Guyader, chirurgien thoracique et cardiovasculaire au CHU de Limoges. De son côté, Nicolas Thévenet, directeur des dispositifs médicaux de diagnostics et des plateaux techniques au sein de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) remarquait : « Aux Etats-Unis où le robot a été rapidement déployé,  nous avons un effet volume que nous ne retrouvons pas en France. Par ailleurs, chez nous, les incidents remontés sont le plus souvent d’ordres techniques comme des pannes ou des problèmes d’instrumentation ».

Même avec Da Vinci, tout le monde ne peut pas être chirurgien

Il est cependant un point sur lequel détracteurs et partisans du robot pourraient tomber d’accords : le recours à Da Vinci ne dispense pas d’une bonne formation chirurgicale. D’ailleurs une enquête réalisée par l’ANSM auprès de 69 établissements pour évaluer les effets indésirables du robot et dont les résultats ont été présentés ce printemps confirmaient que si les événements indésirables graves sont rares (une trentaine sur plus de 17 000 interventions), dans la majorité des cas (45 %) ils sont liés à un manque d’expérience ou de formation du chirurgien. Des données qui rappellent les conclusions d’une étude parue en 2013 dans le Journal of the American College of Surgeons mettant en évidence le fait que dans la chirurgie colorectale assistée par robot, les résultats à court terme dépendaient… du chirurgien ! Une donnée qui doit être prise au sérieux pour ceux qui s’inquiètent des dérives liées au robot. Dans Libération, le professeur Peyromaure tonnait : « Le robot change la donne : de mauvais chirurgiens se prennent pour des experts. D’où un nombre conséquent d’incidents opératoires ».
Aurélie Haroche

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