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Friday, November 14, 2014

Nutrition entérale ou parentérale en réanimation ?

La mise en œuvre d’une nutrition artificielle chez le malade de réanimation est complexe. Le timing, la voie d'administration, la quantité et le type d'éléments nutritifs nécessaires sont autant de sujets débattus. La voie entérale semble pour beaucoup la voie d’administration préférable, en grande partie sur la base de justifications physiologiques. Des investigateurs ont remis en cause cette attitude et ont émis l'hypothèse d’une supériorité de la nutrition parentérale (1).
Ils ont mené un essai clinique pragmatique, sur des malades adultes hospitalisés dans 33 unités de soins intensifs en Angleterre. Les patients étaient tirés au sort pour être nourris par voie parentérale ou par voie entérale. La nutrition était débutée dans les 36 heures suivant l'admission et poursuivie au moins 5 jours. Le critère de jugement principal retenu était la mortalité toutes causes confondues à 30 jours.
Sur les 2 388 patients inclus dans l'analyse, 1 191 ont reçu une alimentation parentérale et 1 197 ont été nourris par voie entérale. Les caractéristiques cliniques de base dans chaque groupe sont semblables, avec 80 %  des malades sous ventilation invasive ou traitement vasopresseur à l’inclusion. L’état nutritionnel préalable, évalué par l’indice de masse corporelle et le degré d’amaigrissement dans les mois précédents, est satisfaisant pour 92 % des patients. L’objectif d’apport calorique, fixé à 25 kcal/ kilogramme et par jour, n'a pas été atteint pour la majorité des malades, mais de façon équivalente entre les 2 groupes.
A 30 jours, 393 patients (33,1 %) dans le groupe nutrition parentérale et 409 malades (34,2 %) dans le groupe nutrition entérale étaient morts. Ceci correspond à un risque relatif de décès dans le groupe nutrition intraveineuse de 0,97 avec un intervalle de confiance de 95 % de 0,86 à 1,08 et un p = 0,57. Les auteurs ont relevé une réduction significative du risque d’hypoglycémie (44 patients [3,7 %] vs74 patients [6,2 %] ; p = 0,006)  et de vomissements (100 patients [8,4 %] vs 194 patients [16,2 %] ; p < 0,001) dans le groupe nutrition parentérale par rapport au groupe voie entérale. Il n'y a pas de différence significative selon les groupes concernant le nombre moyen de complications infectieuses traités (0,22 et 0,21, p = 0,72) et la mortalité à 90 jours.
Ce grand travail éclaire la question de la voie d’administration de l’alimentation en unité de soins intensifs : parmi les patients sans contre-indications et à apport calorique équivalent, les résultats cliniques semblent identiques avec un abord digestif ou intraveineux. L'absence de supériorité de la nutrition parentérale soulève la possibilité d’une surestimation de ses bénéfices lors des essais précédents, plus restreints en nombre et dans des conditions plus éloignées de la réalité clinique.
Les décisions prises au chevet du patient sur la voie de l’alimentation peuvent donc continuer à être influencées par d’autres raisons comme l'évaluation individualisée des besoins nutritionnels, les coûts perçus et les pratiques locales en vigueur (2).
Dr Béatrice Jourdain
Références
1/ Harvey S et coll : Trial of the Route of Early Nutritional Support in Critically Ill Adults. N Engl J Med., 2014 ; publication avancée en ligne le 1er octobre. DOI: 10.1056/NEJMoa1409860
2/ Cook D et Arabi Y : The Route of Early Nutrition in Critical Illness. N Engl J Med., 2014 ; publication avancée en ligne le 1er octobre. DOI: 10.1056/NEJMe1411474

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