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Thursday, February 6, 2014

TRAITEMENT DE LA DOULEUR CHEZ LA PERSONNE AGEE

Dr FOUASSIER Pascale et Docteur SACHET Annick, 
gériatres.
Groupe hospitalier Charles Foix-Jean Rostand – Ivry/s/seine




MESSAGES CLES

Les thérapeutiques non médicamenteuses sont aussi importantes que les thérapeutiques médicamenteuses pour le traitement de la douleur chez le sujet âgé.

La qualité de la relation médecin-malade âgé est essentielle tant il est vrai, comme le soulignait Balint, que le médicament le plus employé est le médecin lui-même. Or, cette relation est menacée par les handicaps et les maladies organiques ou psychiques fréquentes avec l’avancée en âge, ce qui nécessite une réelle adaptation du médecin. Ses propres représentations du vieillissement seront déterminantes dans sa façon de prendre en charge la douleur des personnes âgées.

L’anxiété et la dépression associées sont très souvent présentes et doivent systématiquement être évaluées et prises en charge en cas de douleurs
chroniques du sujet âgé. L’approche thérapeutique médicamenteuse ne doit ni négliger les antalgiques (patients âgés douloureux chroniques trop souvent
étiquetés uniquement comme anxieux ou dépressifs ) ni se limiter à eux. Il existe en effet un risque de négliger une authentique dépression associée, voire une
psychose ou de sous-estimer la part anxieuse du vécu douloureux. Pour ces thérapeutiques associées la posologie devra être plus légère que chez l’adulte et
l’augmentation de posologie plus lente pour ne pas sous-estimer les risques d’accumulation. Les produits à demi-vie courte (Xanax®, Seresta®) seront privilégiés.

Le choix d’une thérapeutique médicamenteuse adaptée (nature,
posologie, galénique) chez le sujet âgé tient compte de :

-son état nutritionnel (albumine, préalbumine chez un patient normohydraté)
- sa fonction rénale (poids, âge, formule de COKROFT)
- son état cognitif (MMS, problèmes d’observance…)
-son état de fragilité (grand âge, polypathologies, insuffisances d’organes…)

- sa polymédication (interactions médicamenteuses ? priorités ?)
- ses capacités d’absorption des médicaments par voie orale (troubles
de déglutition ? refus ? …)
-sa sensibilité prévisible aux effets indésirables (constipation,
confusion, rétention urinaire…)
- ses ressources environnementales (familles plus ou moins présentes, plus ou moins fiables, nécessité d’informations détaillées, possibilités de suivi plus ou moins rapproché par les professionnels…)

L’évaluation de la douleur doit être la plus large possible (concept de douleur totale) et doit se doubler d’une évaluation gérontologique (quelle personne âgée ai-je exactement devant moi ?). Ce sont les deux préalables à la prescription.

En effet, la catégorie des patients dits âgés est extrêmement disparate et s’étend dans un continuum subtil du septuagénaire encore très vert (bon pied,
bon oeil !), qui vit sa vie à son domicile, au nonagénaire insuffisant rénal, insuffisant cardiaque, totalement dénutri, qui finit sa vie souvent en institution
(mais pas toujours !).

Les traitements étiologiques et symptomatiques ne doivent pas entrer en concurrence mais être utilisés en complémentarité selon les situations. Le traitement sera d’autant mieux choisi que le diagnostic médical sera plus étayé.
Lorsque l’interrogatoire n’est plus fiable, la clinique pauvre et les possibilités d’investigations limitées, il reste de notre devoir de poser des hypothèses
médicales et de débuter dans une démarche d’évaluation rigoureuse des thérapeutiques-tests.

Dans tous les cas l’objectif recherché est celui d’un maximum d’efficacité antalgique avec un maximum de sécurité.

Les moyens sont la prudence et la persévérance.

Il ne faudra surtout pas se contenter d’avoir mis en route une stratégie mais la réévaluer pour savoir si elle est efficace.

Il n’y a pas de moyens antalgiques interdits chez la personne âgée, tout est une question de bonne indication et de bonne posologie.

Parmi les antalgiques de palier 1, le PARACETAMOL est largement préféré aux AINS et aux salicylés pour son bon profil de tolérance chez le sujet âgé. L’IBUPROFENE, très prescrit chez les enfants, n’a pas une place clairement identifiée chez la personne âgée. Les AINS classiques gardent des indications pour des durées limitées dans le temps (poussée d’arthrose,
métastases osseuses). Les inhibiteurs de la Cox 2 (Celebrex®) ont l’intérêt de réduire le risque digestif fréquent chez le sujet âgé mais le risque rénal (surtout


en cas d’association avec les diurétiques ou les IEC) est identique à celui des autres AINS. Leur AMM est actuellement limitée.

Parmi les antalgiques de palier 2, les associations PARACETAMOLCODEINE ou PARACETAMOL-DEXTROPROPOXYPHENE ont depuis longtemps fait leur preuve d’efficacité. La tolérance chez le sujet âgé peut être moins bonne (constipation fréquente, somnolence surtout pour la codéine, hypoglycémies rares mais pas anodines avec le dextropropoxyphène). En pratique, l’enjeu réel n’est pas le choix de molécule, ni les effets indésirables souvent contrôlables mais les horaires et la régularité des prises qui passent par une éducation du patient et de son entourage et par une modification des a priori du style : « si j’en prends trop ça ne fera plus d’effets ! ». Pour améliorer les nuits, les formes LP de palier 2 (Dicodin® LP 60 mg) sont intéressantes.

Le TRAMADOL semble moins bien toléré sur le plan digestif chez les sujets âgés et source de syndrome confusionnel d’où la nécessité d’une introduction très progressive. Les formes LP de faible dosage minorent ces effets indésirables (Zamudol® 50 mg LP, Topalgic® ou Contramal® 100 mg LP). Le Tramadol peut avoir un intérêt en cas de douleur mixte (nociceptive et
neuropathique). Depuis peu, nous avons à notre disposition une association PARACETAMOL et TRAMADOL (Ixprim® – Zaldiar®) : 37,5 mg de
TRAMADOL et 32,5 de PARACETAMOL. Cette nouvelle association mérite d’être essayée chez les patients âgés (moins d’effets secondaires du TRAMADOL, compte-tenu de la dose de charge plus faible, et, par ailleurs, association synergique).

En cas d’échec d’un palier 2 à bonne posologie, il n’est pas recommandé, sauf exception, de changer de molécule au sein du même palier mais plutôt de passer au palier 3.

Le risque de dépression respiratoire étant antagonisé par la stimulation des centres respiratoires du fait de la douleur, la prescription de MORPHINE est possible avec prudence chez l’insuffisant respiratoire même âgé. La plus grande sensibilité du sujet âgé à la morphine doit simplement inciter à une plus grande progressivité des posologies et à une plus stricte surveillance de la fréquence respiratoire en début de traitement.

Lorsque la morphine est indiquée, les formes d’action rapide permettent une titration progressive chez les patients les plus fragiles (Sévrédol®, Actiskénan®).

Du fait des particularités du métabolisme des personnes âgées, les antalgiques puissants (morphiniques et dérivés) doivent être débutés à des posologies plus faibles que chez l’adulte.

Les doses d’initiation de traitement les plus standard sont de :


-5 mg toutes les 4 h (soit 30 mg/24 h) entre 70 et 80 ans si les métabolismes hépatique et rénal ne sont pas altérés et si l’état général est correct ;
- 2,5 mg toutes les 4 h chez le vieillard fragile polypathologique de plus de 80 ans ou si un palier 3 est utilisé sans passage par le palier 2 (souvent
pour des raisons de galénique).
Des posologies de 1 mg toutes les 8 heures ne sont pas habituelles mais n’ont rien d’homéopathiques chez des vieillards polypathologiques, insuffisants rénaux ou hépatiques, très fragiles.

La titration des morphiniques est indispensable : c’est une augmentation régulière et prudente afin de trouver la dose la plus efficace et la mieux tolérée possible.

A titre indicatif pour des patients âgés fragiles :

- paliers de 24 ou 48 heures dans le traitement des douleurs chroniques, de 4 à 8 heures dans les douleurs aiguës,
- augmentation de 2,5 mg supplémentaire à chaque palier jusqu’à 15 mg par prise si besoin puis augmentation de 25 à 30 % pour les posologies plus
élevées.
Les 3 règles d’or d’utilisation des morphiniques chez la personne âgée sont :

- débuter à posologies faibles (start low)
- monter lentement (go slow)
- ne pas s’arrêter trop tôt.

La prescription de formes retard en relais direct d’un palier 2 de l’OMS ne doit pas être réalisée sans une solide réflexion sur les risques de surdosage par accumulation. L’information de la personne âgée et de son entourage doit permettre une surveillance attentive et la conduite à tenir en cas de surdosage doit être anticipée. Pour la population la plus fragile, les formes LP devraient être réservées aux traitements de relais lorsque la titration a permis de déterminer la posologie utile.

Le Durogésic® 25 µg/h (FENTANYL) en relais direct d’un
antalgique de palier 2 chez la personne âgée est à proscrire, de même que le passage direct d’un Durogésic® 25 µg/h à un Durogésic® 50 µg/h en cas
d’inefficacité. Cette inefficacité ne doit pas être conclue trop tôt et l’utilisation
d’interdose de morphine à libération immédiate doit être maintenue jusqu’au
plateau d’équilibre (c’est-à-dire après 3 changements de patch). Dans le cas contraire les augmentations de posologie beaucoup trop rapides conduisent au
risque d’accumulation et de surdosage.


Le Durogésic® a par contre un intérêt en relais d’un traitement morphinique d’au moins 60 mg/24 h dans les douleurs cancéreuses stables si l’état de santé de la personne âgée ne laisse pas présager un équilibre trop
précaire. L’avantage principal est de diminuer les prises per os et la constipation et d’avoir une gestion relativement simple en ville (diminution des passages
infirmiers mais attention à ne pas négliger la surveillance).

Tout signe de surdosage, apparaissant chez un patient âgé jusqu’ici parfaitement équilibré, doit faire redouter, en l’absence d’autres raisons évidentes (automédication abusive, efficacité antalgique d’une autre
thérapeutique, interaction médicamenteuse…), la survenue d’une insuffisance rénale, le plus souvent par déshydratation.

Les personnes âgées sont plus sensibles aux effets confusionnels possibles (mais non systématiques) des morphiniques. L’augmentation progressive et l’utilisation de formes d’action rapide permettent de réduire considérablement la fréquence, l’intensité et la durée de cet effet indésirable qui disparaît lorsque l’on revient au palier posologique précédent. Chez les patients âgés sensibles sur le plan cérébral, la Sophidone® LP (HYDROMORPHONE)
(à partir d’une dose équivalente à 60 mg/j) semble une alternative intéressante pour réduire cet effet indésirable.

L’OXYCODONE (Oxycontin® LP, Oxynorm®) (AMM) a un intérêt réel car cette molécule présente l’avantage de ne pas être métabolisée en métabolite actif. Il n’y a donc (en théorie) pas de risque d’accumulation même en présence d’une insuffisance rénale.

L’inconvénient actuel réside dans les dosages qui peuvent être trop élevés pour la population âgée fragile (Oxynorm® 5, équivalent à 10 mg de MORPHINE immédiate, et Oxycontin® 10, équivalent à 20 mg de MORPHINE LP).

Les douleurs neuropathiques étant particulièrement fréquentes avec l’avancée en âge, leur reconnaissance est essentielle à leur prise en charge. Les
antidépresseurs classiques préconisés dans les douleurs à fond continu sont mal tolérés chez la personne âgée quoique le Laroxyl® (AMITRIPTYLINE) utilisé à très faibles doses (non antidépressives) donne des résultats parfois non négligeables. 

Quelques travaux ont montré l’intérêt du Deroxat® (PAROXETINE) dans ce type de douleur.

Pour les douleurs paroxystiques, il est classique d’utiliser le Rivotril® (CLONAZEPAM) dont la forme en goutte permet une adaptation très progressive des posologies selon la tolérance. La posologie est souvent limitée par l’effet sédatif.


Parmi les nouvelles molécules, le Neurontin® (GABAPENTINE) a un profil de tolérance très intéressant chez le sujet âgé. Son AMM est actuellement
limitée aux douleurs post-zostériennes. La PREGABALINE (Lyrica®) aura une AMM plus étendue sur les douleurs neuropathiques périphériques.

Enfin il ne faut pas oublier l’intérêt potentiel de la neurostimulation transcutanée (TENS) dans ce type de douleur lorsque les capacités cognitives
permettent la coopération de la personne âgée douloureuse.

Outre qu’il doit maîtriser l’utilisation de son arsenal thérapeutique, le médecin doit savoir prescrire à bon escient l’intervention d’un collègue paramédical :

L’infirmière est une auxilliaire précieuse pour prévenir toutes les petites douleurs surajoutées du quotidien, participer à l’éducation du malade âgé (souvent plus longue que chez le malade plus jeune), assurer le suivi des thérapeutiques, et le dépistage des effets indésirables.

La kinésithérapie, les massages, la relaxation, l'hypnose, le soutien cognitivo-comportemental, les orthèses, la psychothérapie de soutien et de nombreuses autres techniques trouveront une place tout à fait justifiée selon les situations.

Enfin il faudra compter avec les possibles ressources du patient et de sa famille et inciter la personne à participer activement à sa prise en charge en prévenant autant que possible des attitudes fatalistes ou doloristes.

L’information du patient âgé et de la famille sera primordiale tant les préjugés vis -à-vis de la douleur et des thérapeutiques sont enracinés dans la culture. Là encore mieux vaut être persévérant et, tout en s’appuyant sur une relation de confiance, ne pas aller trop vite dans notre désir de soulager car des
effets indésirables non expliqués ou trop importants altéreront rapidement l’adhésion du patient âgé à nos thérapeutiques prétendues salvatrices.

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