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Monday, February 10, 2014

Ces Suisses qui vous aident à mourir

 Le 18 décembre 2012 | Mise à jour le 16 décembre 2013


Ces Suisses qui vous aident à mourir
Michèle Causse, qui a voulu que sa mort soit filmée, décide de s’éteindre le jour de son anniversaire, avec l’aide d’une accompagnatrice de l’association Dignitas en Suisse. ©


Le comité consultatif national d’éthique rend lundi ses conclusions autour de la question de l'euthanasie active et du suicide assisté. Redécouvrez notre reportage, publié en décembre 2012, sur l’aide au suicide en Suisse. Gratuite pour les ­citoyens nationaux via l’association Exit, elle est payante pour les étrangers via Dignitas. Paris Match était allé interroger ceux et celles qui accompagnent cette mort sur ordonnance.



«On s’était inscrits à Exit deux ans avant sa mort. Elle et moi. Notre fille aussi. » Pourtant, quand Marcelle, sa femme chérie, lui a lâché un jour « Je n’ai plus envie de lutter », Gérard n’y a pas cru tout de suite : « J’ai essayé de l’en dissuader. Comme je l’accompagnais toujours à Genève chez son oncologue, je savais comme elle qu’un nouveau médicament allait être mis sur le marché dans deux ou trois ans. Mais elle en a eu assez… » Marcelle avait enduré dix ans de traitement contre son cancer. Son autre oncologue, un ami valaisan, comme eux, le lui avait promis : « Je ne te laisserai pas souffrir. » Dynamique, sportive, casse-cou même, elle a continué, malade, d’aller marcher des heures dans les Alpes avec son mari. Les deux dernières années, elle n’y arrivait plus. Ses os étaient atteints et lui causaient des douleurs horribles. « Elle ­savait tout sur sa maladie, se souvient Gérard. Sa terreur, c’était que les ­tumeurs atteignent le cerveau. » Un mois avant sa mort, les spécialistes lui confirment que c’est la fin. Alors, ­Marcelle prend les choses en main : elle envoie à l’antenne de Lausanne de l’association Exit les comptes rendus médicaux confirmant la gravité de son mal, un certificat attestant de sa bonne santé mentale et une lettre manuscrite réaffirmant sa volonté de mourir. « Ensuite, on a appelé Gabriella… »
Gabriella est une splendide quinquagénaire qui donne très envie de vivre. Des fossettes, un regard chaleureux, un corps de gazelle. Elle est ­« accompagnatrice » et bénévole, comme une quinzaine d’autres, à Exit. En clair, c’est elle qui, à deux reprises, rencontre le patient désireux de se donner la mort. La première fois, elle l’interroge longuement, l’incite à réfléchir. S’il se décide, il la rappellera plus tard. C’est lui qui fera le geste, avalera d’abord le verre de Paspertin, pour éviter un rejet par ­l’estomac, puis celui de pentobarbital, que Gabriella aura préparé.

Des «anges de la mort» formés au sein de l'association et dont 60% sont des femmes

Etrange fonction que celle de ces « anges de la mort » formés et cooptés au sein de l’association, et dont 60 % sont des femmes. Le Dr Jérôme Sobel, président d’Exit, est lui-même accompagnant : « Ce sont des personnes pour lesquelles la mort n’est plus un tabou. Elles ont intégré leur propre fin, elles ne projettent plus leurs peurs sur le ­patient. » Et, surtout, elles possèdent un don pour l’empathie, une disponibilité affective qui pourrait faire sourire en d’autres circonstances. Mais là, leur présence bienveillante, chaleureuse est une sorte de sas qui permet la communication. Pour ne pas rater les moments ­ultimes. « On essaie toujours de réunir les membres de la famille. Au-delà des brouilles, nous explique Gabriella. Je leur demande s’ils veulent que je les contacte. » Elle a réussi à faire revenir du Canada un fils très remonté contre son père mourant. « Ils ont passé ensemble toute la journée qui a précédé la mort. »
Gérard et Marcelle ont rencontré Gabriella une première fois à la réception des documents et de la demande d’assistance au suicide. « Nous avons fait connaissance. Elle est restée de 13 h 30 à 17 h 30. On a bu un café, puis, l’heure passant, un verre de blanc. On était tous les trois. Ensuite, je les ai laissées seules. Mon épouse a bien aimé Gabriella. Je ne sais pas ce qu’elles se sont dit. Mais c’est elle, ­Gabriella, qui a vécu avec nous les derniers instants. » Le Dr Sobel : « Notre relation avec eux est intime, essentielle. Tandis que les médecins et l’entourage les entretiennent de leurs miasmes, du sang et des tripes, nous, nous parlons de leur vie, de leur identité. Ils se livrent. On sait des choses qui ne sortiront jamais. »

Gérard: «Marcelle a murmuré “Je vois le paradis” puis elle s'est endormie.»

Une semaine plus tard, après un dîner joyeux, avec les enfants et les ­petits-enfants, Gabriella est arrivée un matin à 9 heures. Gérard raconte : « Les enfants étaient là. Ma femme a parlé avec chacun, pendant une demi-heure. A un moment, on a même ri... Nous avons assisté à sa fin. Marcelle a murmuré “Je vois le paradis”, puis elle s’est endormie. »
A la sensualité vitale de Gabriella s’oppose la maturité douce de Suzanne, accompagnante depuis neuf ans. Mais l’une et l’autre fonctionnent de la même manière. Suzanne : « On se donne totalement. La veille, on dort très mal. Et après, on rentre en lambeaux. Surtout quand le malade était un jeune qui aurait pu être notre enfant. » Gabriella a appris à gérer : « Avant, j’étais si mal que la veille je vomissais. Aujourd’hui, quand ça ne va pas, au retour, je ­m’arrête et je pleure. » Suzanne : « Mon mari me voit rentrer démolie. Souvent je me dis que c’est trop dur, que c’est la dernière fois. Mais j’ai moi-même vécu des épreuves, j’ai l’estomac bien accroché. Et j’ai de la compassion pour ceux qui souffrent. J’ai besoin de venir à leur ­secours. Un vrai saint-bernard ! » Le Dr Sobel regrette de ne pas avoir réussi à faire accepter une formation à l’accompagnement dans les universités. Une pédagogie qui, à coup sûr, limiterait le risque de burn-out de ses accompagnants. Actuellement, ils se forment « sur le tas », près d’un autre plus expérimenté. Un enseignement permettrait, en outre, de faire réfléchir de façon plus rationnelle sur ce thème encore très polémique en Suisse. « Notre Code pénal a beau autoriser le suicide assisté à condition qu’il découle “d’une décision autonome et non pour des motifs égoïstes” (en clair, pas pour que l’entourage mette la main sur l’héritage), il reste des fondamentalistes virulents qui font tout pour bloquer cette assistance au décès. »
La disposition prend sa source dans une motion datant de 1994 et qui fut confirmée en 2001. Sans hypocrisie, avec un art consommé du compromis, les Suisses ont pris le temps d’analyser, de débattre. Il y a déjà près de vingt ans. Aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg, le suicide assisté (et même l’euthanasie) est légal. Cela ­devrait inciter les Français à méditer leur retard... « Je ne comprends pas la France, s’étonne le Dr Sobel. Ils furent les premiers à accepter l’IVG. Alors pourquoi pas l’interruption volontaire de vie quand on a l’avenir derrière soi ? » Il pointe le règne du « politiquement correct » en vigueur dans un monde médical « encore dominé par une ancienne génération qui se bloque ». Il est possible que, comme pour l’euthanasie (interdite également en Suisse), les médecins n’aient guère envie d’hériter de la lourde charge de donner le feu vert à une mort volontaire. Le Dr Sobel : « Il ne s’agit pas de heurter les sensibilités. Juste d’accepter une évidence, d’être tolérant. Je le suis. Je ne veux pas que d’autres m’imposent leurs blocages. »
Le fait qu’Exit soit une organisation dont les membres actifs fonctionnent bénévolement a peut-être aidé à dépassionner les discussions. On ne cotise en effet que 40 francs suisses (33 euros) par année. Et chacun offre gracieusement ses services. L’association ne prend en charge que les résidents suisses. Ce qui fait déjà une immense armoire de dossiers soigneusement classés et répertoriés au cabinet ORL du Dr Sobel, président d’Exit depuis treize ans. Il n’en est pas de même pour Dignitas, à Zurich, qui, elle, accueille les étrangers. Et n’a rien de bénévole : 165 euros de cotisation d’entrée, puis 66 euros par an. En cas de demande de suicide ­assisté, il faut alors compter un minimum de 4 962 euros, auquel on ajoute en général les 1 240 euros couvrant les formalités légales, civiles et funéraires. Car, comme pour Exit, dès la mort constatée, l’accompagnant convoque la police et le médecin légiste qui confirment qu’il ne s’agit pas d’un assassinat et donnent leur blanc-seing pour les ­funérailles. Crémation ou rapatriement du corps, cela coûte cher. Sans parler des tâches administratives exigeant un secrétariat multilingue et une disponibilité permanente en cas d’urgence.

En Suisse, on accuse le fondateur de Dignitas d'«encourager le tourisme de la mort»

C’est peut-être pour ces raisons matérielles que Dignitas essuie parfois des critiques. En Suisse, on accuse son fondateur, l’avocat Ludwig Minelli, de se faire de l’argent « avec le commerce du suicide », voire d’« encourager le tourisme de la mort ». Les opposants se sont montrés si féroces qu’il lui a fallu déménager une première fois pour cause de « défilé de cercueils gênant pour le voisinage ». Puis, en 2008, sur dénonciation d’un confrère, plusieurs médecins furent suspendus pour « ordonnances abusives de Penthotal ». Pendant quelques mois, les pharmacies délivrant le produit en ont arrêté la vente. Et c’est à ce moment-là qu’a été décrit de façon, disons, cinématographique, l’usage de gaz hélium pour « suicider » les demandeurs. Des photos d’individus sont parues sur Internet, la tête enfermée dans un sac plastique gonflé d’air ! Manipulations. La vérité, Dignitas l’explique : « L’usage de l’hélium n’est intervenu que quatre fois, et à la demande expresse des patients, informés de la situation. Ils avaient fait le voyage jusqu’à Zurich, ils ne voulaient pas repartir comme nous le leur conseillions. » La personne désirant mourir inhalait de l’hélium via un masque respiratoire médical, le même utilisé autrefois pour les anesthésies à l’éther. La perte de conscience intervient environ deux minutes après, comme avec le Penthotal. Il n’y a pas de sensation d’étouffement, même si ­certains muscles du corps sursautent après l’évanouissement. « A l’époque, on avait prévenu l’entourage. »
L’entourage, justement, vit souvent très mal le côté rationnel de l’entreprise Dignitas. Le Français Daniel Gall ­raconte son cauchemar dans un livre douloureux, « J’ai accompagné ma sœur » (éd. Michalon). En 2008, sa sœur, 81 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer, et son mari qui ne veut pas lui survivre décident d’« éviter la dégradation ». Déterminés, malgré la supplique des enfants, des frères et sœurs.  Le Dr Sobel : « En général, ceux qui s’engagent dans un suicide assisté sont solides émotionnellement. Ils ont ­réfléchi, ils n’ont pas peur, ils veulent “sortir” sans entrave, apaisés. » Daniel Gall, en revanche, se prépare au déchirement. Il décrit la tristesse dans cette ville inconnue de Zurich noyée sous la pluie, le chauffeur de taxi mutique, la laideur du décor, les baskets sales de l’accompagnant, le faux roux de l’accompagnante qui fume comme un pompier, la vue sur un entrepôt… Détails esthétiques dont les intéressés se moquent éperdument. Daniel le sait bien : « Ils sont là pour mourir, le confort, ils s’en foutent. » Puis les formulaires, les décharges à signer, la demande renouvelée, plusieurs fois, avec l’accent suisse-allemand : « Vous avez décidé de mourir, mais, jusqu’au dernier moment, vous pouvez changer d’avis. Etes-vous toujours décidés ? » Malgré leur look qui n’a rien de fashion, les officiants ont une douceur, une gentillesse. Les deux verres sont bus, Geneviève et son mari meurent sous le regard du frère et du fils en larmes, et dans l’objectif d’une caméra discrète « pour que la police ­vérifie qu’ils se sont donné eux-mêmes la mort ». Délicate jonglerie entre les nécessités judiciaires et le soutien à ceux qui restent. L’accompagnant prend ­Daniel Gall dans ses bras. « Il me serre, je me laisse un peu aller, je pleure… Cet homme est mal fagoté, mais il a de la bonté, de la compassion. »
Puis l’attente et les formalités qui prennent des heures : les policiers interrogent, visionnent la vidéo ; le médecin et son assistante, porte close, déshabilleront les corps, constateront le décès ; enfin les croque-morts… Dignitas s’occupe de tout. Les urnes arriveront dans quelques semaines. Pour la famille, il y a de quoi déprimer, en effet. Et détester Dignitas. Le Dr Sobel : « Dignitas rend un service majeur. On n’y vient pas pour faire du tourisme ! Ce qui me choque, c’est qu’on soit forcé de s’expatrier pour mourir, au lieu de finir dans son décor familier, entouré de ses proches. » Avec Exit, malgré l’accueil à la maison, l’absence d’exigences pécuniaires, les choses ne sont pas toujours si douces. Suzanne comme Gabriella se sont ­retrouvées les cibles d’un fils ou d’une épouse qui refusait farouchement cette issue volontaire. « On s’est fait appeler “meurtrière”, “tueuse”. J’ai pleuré, pleuré. Je me suis très longuement interrogée… » Certains s’excusent ensuite, d’autres ne « digèrent » jamais.

Jacqueline Voillat: «Assister à la mort de ma mère m'a permis de retrouver des forces»

Pourtant, lorsqu’on écoute Jacqueline Voillat, on a le sentiment que, sans Exit, la fin de la vie de sa mère aurait été une tragédie. « Ma mère avait 90 ans, elle était guettée par la gangrène. Elle allait endurer une dégradation très douloureuse, sans parler de la puanteur… Impensable ! Pourtant, quand elle a manifesté son désir d’en finir via Exit, les médecins ont fait traîner son dossier. Pire, un psychiatre l’a déclarée inapte à un jugement sain ! J’ai alors appelé au secours le Dr Sobel. » Lequel, après avoir longuement interrogé sa mère, a demandé un nouvel examen mental. Jacqueline Voillat : « Le psychiatre s’était fourvoyé. La dépression de ma mère ne la rendait pas folle. Sa dépression, c’était parce qu’on ne l’aidait pas à mourir. Sobel a pu discuter d’égal à égal avec ses médecins. Nous, nous étions les otages de la toute-puissance corporatiste. » Rien ne fut facile pour autant. « Son envie de mourir m’attirait dans la tombe à mon tour », confie ­Jacqueline qui se souvient, une fois fixée la date du suicide assisté de sa mère : « J’ai
tant visualisé, imaginé sa mort. J’essayais de me figurer ce que signifiait “plus jamais”. Le moment venu, j’avais physiquement mal. L’impression que j’allais mourir au pied du lit. Mais voir se dérouler les choses m’a permis de retrouver des forces. Quand elle est morte, nous étions quatre : ma sœur et moi, le Dr Sobel et un pasteur. Sobel dédramatisait en nous expliquant physiologiquement ce qui se passait dans son corps. Le pasteur nous a soutenues moralement, spirituellement. » Jacqueline Voillat en a tiré un livre, « Rencontre avec la nuit » (éd. d’En bas).
Certains se font filmer pour promouvoir la cause, si l’on peut dire. Et combattre les préjugés. Montrer qu’il n’y a ni convulsions, ni râles, ni yeux ­révulsés, ni incontinence. C’est le cas de l’écrivaine française Michèle Causse, militante gay. Quand, en 2010, à 74 ans, elle décide d’en finir, elle a l’air de se porter comme un charme. Intellectuelle vive à la forte personnalité, des yeux verts pleins de charme, elle est inscrite à Dignitas depuis 2002. En cet hiver 2010, elle décide que le moment est venu. Incompréhensible ! On s’attend à une petite vieille clopinant, déprimée, souffreteuse... Pas du tout. Avec sa compagne et une amie, elles ont l’air de s’offrir une virée sympa à ­Zurich. En réalité, elles se rendent à Forch, dans le nouvel appartement de Dignitas, plus mignon que celui qu’a connu Daniel Gall. Michèle, avec son autorité habituelle, contrôle les événements, tellement déterminée. On se dit qu’à la dernière minute elle va renoncer. Pas du tout. A Emmanuelle Bresson de la télé suisse qui la filme pour « Temps présent », elle explique : « J’ai perdu mon autonomie à cause d’un tassement de vertèbres, d’ostéoporose, d’asthme et de vertiges. Je suis allongée depuis mes 55 ans, je suis devenue un boulet. » On a envie de lui hurler que ça n’est pas grave, qu’elle est tellement riche et vitale… Non, sa décision est irrévocable : « C’est parce que j’aime la vie que je ne veux pas d’une vie informe. Je perds les mots, la mémoire. Pour un écrivain, ça n’est pas possible. Mon seul désespoir, ma culpabilité, c’est de voir que je fais de la peine. Moi, je n’ai plus de désir ni d’envie. » Jusqu’à son dernier souffle, ­Michèle Causse gardera la même énergie, le même ­esprit positif. On la voit s’endormir. ­Incrédule

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