L’enzalutamide, une nouvelle option pour le cancer de la prostate métastasé
Le cancer de la prostate est, à travers le monde, le plus
fréquent des cancers masculins et le 6e en terme de mortalité
spécifique. Depuis 1941, date de découverte de son
hormono-dépendance, le blocage androgénique constitue la pierre
angulaire de son traitement. Toutefois, à un stade avancé, chez la
plupart des patients, malgré un contrôle efficace de la
testostéronémie sous privation androgénique (analogue de l’hormone
de libération des gonadotrophines hypophysaire, LHRH, ou
orchidectomie avec ou sans anti- androgènes associés), on note une
progression de la maladie. Ce stade évolutif est, de façon
courante, appelé cancer de la prostate castrato-résistant. Il est,
presque toujours, associé à une élévation du taux de l’antigène
prostatique spécifique (PSA), suggérant que, même lors d’une
phase tardive, la maladie reste sous la dépendance de récepteurs
androgéniques. De fait, il existe alors une sur- expression de ces
récepteurs induisant une résistance au traitement de blocage
hormonal et les taux d’androgènes intra-tumoraux sont très
élevés.
Un nouvel inhibiteur des récepteurs androgéniques
L’enzalutamide (précédemment dénommé MDV 3100) est un inhibiteur
ciblé des récepteurs androgéniques qui se lie, de façon
compétitive, au domaine de ligand de ces récepteurs, inhibe leur
translocation vers le noyau cellulaire, le recrutement de
co-facteurs et leur fixation sur l'ADN. Dans une précédente étude
de phase 3, l’administration de cette molécule, comparée à celle
d’un placebo, avait été associée à une prolongation de la survie
globale et du délai sans progression, un retard dans l’apparition
des complications osseuses et une amélioration de la qualité de vie
de malades porteurs d’un cancer prostatique hormono-
résistant et ayant déjà reçu du docetaxel.
Dans un travail récent, publié dans le New England Journal of
Medecine, T M Beer et ses collégues ont évalué l’apport de
l’enzalutamide chez des sujets encore asymptomatiques ou très
modérément symptomatiques, porteurs d’un cancer de la
prostate métastasé, en progression malgré un traitement de
privation androgénique et n’ayant pas encore reçu de
chimiothérapie. L’essai, dénommé PREVAIL, est une étude de phase 3,
menée dans plusieurs pays, en double aveugle, avec randomisation
centralisée, contrôlée sous placebo. Elle a été réalisée sous
l’égide d’un comité indépendant et a comporté une analyse
intérimaire pré- spécifiée. Les patients éligibles devaient avoir
un adénocarcinome de la prostate histologiquement ou
cytologiquement prouvé, des métastases bien documentées, un PSA en
hausse et une progression, soit osseuse, soit au niveau des tissus
mous en imagerie malgré un traitement par analogue LHRH ou
orchidectomie préalable. Leur testostéronémie était inférieure ou
égale à 1,73 nmol. Le traitement de privation androgénique a été
maintenu et la corticothérapie autorisée mais non systématique.
Aucun des participants n’avaient reçu de chimiothérapie, de
kétoconazole ou d’acétate d’abiratérone. Ils étaient en
bon état général (score OMS de 0 à 1) avec une symptomatologie
nulle ou très minime. Les patients porteurs de métastases
viscérales pouvaient être inclus tout comme ceux en insuffisance
cardiaque modérée. Etaient par contre exclus les sujets
épileptiques ou prédisposés à la comitialité.
Plus de 1700 patients atteints d’un cancer de la prostate métastasé
Entre Septembre 2010 et Septembre 2012, une randomisation
centrale a été effectuée en 2 sous groupes, soit prise de 160
mg d’enzalutamide per os journellement, soit
administration d’un placebo. Le protocole a été maintenu
jusqu’à progression en imagerie, survenue d’un effet
secondaire majeur, mise en route d’une chimiothérapie
ou d’un autre traitement en cours d’expérimentation. Le
critère principal d’évaluation a été la survie sans
progression et la survie globale. Les autres critères incluaient le
délai avant chimiothérapie, celui avant un premier événement
pathologique osseux, le délai avant une nouvelle progression du PSA
et la qualité de vie sous traitement. Un examen scannographique ou
par résonance magnétique nucléaire, couplé à une scintigraphie
osseuse a été pratiqué au départ, puis à la 9e, 17e, 25e semaine
et, ultérieurement toutes les 12 semaines afin de suivre la
progression de la maladie. L’analyse a été faite en intention de
traiter avec une analyse intermédiaire prévue après 540 décès.
Au total, 1 717 participants ont été enrôlés, 872 recevant de
l’enzalutamide et 845 un placebo. Les 2 groupes étaient similaires
mais le temps de prise d'enzalutamide a été de 16,6 mois contre 4,6
mois pour le placebo. A 1 an, 68 % des patients prenaient encore
l’antiandrogène vs 18 % le placebo. Au terme de 12 mois de suivi,
le taux de survie sans progression s’établit respectivement à 65 %
avec l’enzalutamide et à 14 % sous placebo. On note, sous principe
actif, une réduction de 81 % du risque de progression radiologique
(Hazard Ratio à 0,19 pour un intervalle de confiance à 95 % (IC)
entre 0,15 et 0,23 ; p < 0,001). Une progression ou un décès ont
été observés chez 14 % (118/ 832) des sujets traités et 40 %
(312/ 801) de ceux sous placebo. La moyenne de survie globale a été
calculée à 32,4 mois vs 30,2 mois. A la fin de l’étude, 72 % des
patients du groupe actif étaient encore en vie face à 63 % sous
placebo, soit un Hazard Ratio [HR] à 0,71 (IC : 0,6-0,84; p <
0,001). L’amélioration a été détectable dans tous les sous groupes
pré-spécifiés, qu’il y ait, ou non prise antérieure
d’anti-androgènes. Du fait de ces résultats très probants, l’étude
a été arrêtée après analyse intermédiaire avec recommandation de
mettre l’ensemble des participants sous enzalutamide.
Prolongation de la survie et délai allongé avant la chimiothérapie
Quarante pour cent des patients sous enzalutamide ont dû
recevoir un traitement complémentaire (en règle docetaxel ou
abiratérone) et 70 % de ceux sous placebo. Le délai moyen avant
mise en route de la chimiothérapie s’établit à 28,0 mois vs 10,8
mois (HR : 0,35 ; p < 0,001). On constate sous traitement actif
une réduction du risque de survenue d’un événement osseux
pathologique (HR : 0,72 ; p < 0,001). Une réponse objective a
également été notée dans 59 % des cas de métastases viscérales sous
traitement actif vs 5% sous placebo. Le taux de réponse complète ou
partielle s’établit respectivement à 20 et 39 % face à 1 et 4 %
sous placebo. Le délai avant reprise de la progression du PSA est
plus long ainsi que celui avant dégradation de l’état général (11,3
mois vs 5,6 mois ; HR : 0,63 ; p < 0,001).
Au plan de la iatrogénie, un effet secondaire de grade 3 ou plus
a été notifié chez 43 % des patients sous enzalutamide et chez 37 %
de ceux sous placebo. Il faut, à ce propos, remarquer que la
période de suivi a été nettement plus longue sous traitement actif
et que le délai avant manifestation d’un effet iatrogène plus
prolongé dans ce cas (22,3 mois en moyenne sous enzalutamide et
13,3 mois sous placebo). On a noté davantage de bouffées de
chaleur, d’hypertension et de chutes. Une comitialité a été
constatée chez un malade de chaque groupe en cours de protocole.
Enfin, aucune hépato-toxicité n’a été à déplorer sous
enzalutamide.
Il apparaît donc que l’enzalutamide, à la posologie de 150 mg/j
per os réduit la progression radiologique, la mortalité, améliore
la survie globale et allonge le délai avant le recours à la
chimiothérapie pour les patients porteurs d’un adénocarcinome
prostatique métastasé. Le bénéfice thérapeutique est détectable dès
le 4e mois et tend à se maintenir au fil du temps. Il est également
notable en cas de métastases viscérales dont le pronostic plus
réservé est connu. Parallèlement est observée une amélioration de
la qualité de vie et un profil de tolérance satisfaisant. Une
hypertension artérielle a été plus souvent notifiée sous
enzalutamide (13 % vs 4 %), souvent chez des patients déjà
hypertendus. Elle a été, en règle, facilement contrôlée.
Contrairement à ce qu’il se passe avec d’autres anti- androgènes,
il n’a été noté aucun cas d’hépato-toxicité. Le travail de TM
Beer et collaborateurs confirme donc que l’enzalutamide, agent oral
avec un excellent profil de toxicité, est utile chez des patients
avec un adénocarcinome prostatique métastasé, encore peu ou pas
symptomatiques, avant chimiothérapie. Il retarde notamment la
progression radiologique et réduit le risque de décès.
Dr Pierre Margent
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