Déprivation androgénique pour cancer de la prostate localisé, pas vraiment de bénéfice sur la survie !
Les cancers prostatiques localisés (CPL) jugés peu agressifs,
notamment du fait d’un score de Gleason < 7 et un taux de PSA
< 30 ng/ml) ont de fait une évolution imprévisible. Chez le
sujet encore jeune (âge < 65 ans), la sécurité oncologique
incite à se tourner vers la prostatectomie radicale tandis que pour
le sujet plus âgé, ou encore en cas de comorbidités rédhibitoires
ou dangereuses, une surveillance active est préconisée, une
intervention plus agressive, pas nécessairement chirurgicale étant
décidée au cas par cas, en fonction des manifestations cliniques ou
biologiques. L’indication d’une radiothérapie pelvienne ou d’une
curiethérapie peut ainsi devenir légitime.
La surveillance active mérite-t-elle d’être couplée à une
déprivation androgénique (DPA) ? Castration chirurgicale ou
chimique ? Ces stratégies sont en théorie séduisantes d’un point de
vue pathogénique, car il est admis que la testostérone tend à
favoriser la prolifération tumorale. La DPA pharmacologique est
particulièrement tentante car elle repose sur une prescription
médicamenteuse qui, pour être simple dans son principe, n’en est
pas moins lourde de conséquences en termes d’effets secondaires. Le
risque mériterait d’être encouru, s’il était payé en retour, par un
bénéfice quantitatif ou qualitatif en termes de survie,
notamment.
Une étude de cohorte rétrospective vient tempérer l’ardeur des
tenants de la DPA dans ce contexte particulier. Elle repose sur les
données d’un registre, constitué entre 1995 et 2008, dans lequel
ont été inclus 15 170 patients atteints d’un CPL de diagnostic
récent. Aucun traitement curatif spécifique n’a été instauré, une
surveillance active étant assurée jusqu’en décembre 2010. Deux
groupes ont été formés, selon qu’une DPA a été instaurée ou non. Le
modèle des risques proportionnels de Cox, avec ou sans analyse de
propension, a été utilisé pour évaluer la mortalité globale et
celle liée à la maladie elle-même.
Les résultats sont éloquents. La comparaison intergroupe révèle
globalement que la DPA n’a eu aucun effet bénéfique sur la
mortalité, quelle qu’en soit la cause, ceci après ajustement en
fonction des principaux facteurs de confusion tant
sociodémographiques que cliniques. Ainsi, le risque relatif ajusté
(RRA) de décès a été estimé à 1,04 (intervalle de confiance à 95 %
[IC 95 %] 0,97-1,11), pour ce qui est de la mortalité globale. Le
RRA, pour ce qui est de la mortalité imputable au cancer, a été
estimé à 1,03 (IC95 %, 0,89-1,19). Ceci vaut pour l’analyse globale
des données. Si l’on se réfère à un sous-groupe caractérisé par un
risque élevé de progression du CLP, le RRA, uniquement pour ce qui
est de la mortalité globale est apparu un peu plus faible avec la
DPA, sa valeur étant en effet de 0,88 (IC95 %, 0,78-0,97).
Certes, il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective et l’on
connaît les limites de cette approche. Néanmoins, l’effectif est
considérable (plus de 15 000 patients) et ces résultats ne sont pas
les seuls à attirer l’attention sur les limites de la DPA chez les
sujets atteints d’un CLP non traité. Le bénéfice de la DPA semble
être globalement mince, voire nul, si l’on raisonne en termes de
mortalité liée au cancer. Dans les cas à haut risque de
progression, ce traitement permettrait de diminuer la mortalité
globale. C’est dire que ses indications, à l’heure actuelle,
méritent d’être soigneusement pesées, la surveillance active
restant la méthode de choix jusqu’à preuve du contraire, la
stratégie thérapeutique devant cependant intégrer l'âge et les
préférences du patient.
Dr Philippe Tellier
No comments:
Post a Comment