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Saturday, June 28, 2014

Bonnemaison : des applaudissements qui dérangent 

 Publié le 28/06/2014

Paris, le samedi 27 juin 2014 - 
L’acquittement du docteur Nicolas Bonnemaison ce mercredi 24 juin a été à l’origine de nombreux commentaires sur les blogs de médecins et de juristes. Il faut dire que cette décision à l’encontre des réquisitions du Procureur général n’a laissé de surprendre et interroge nécessairement sur la conception de la médecine et de la justice. Il ne s’agit pas ici de relancer le débat autour de la légalisation de l’euthanasie active, mais de mesurer les conséquences d’un tel acquittement.

Retournement de veste de Bernard Kouchner

Pour le médecin auteur de "Perruche en automne", ce verdict est une remise en cause d’une des évolutions majeures de la médecine moderne qui a fait de l’inclusion du patient, de la nécessité de tout expliquer dans un souci de transparence absolu, de l’importance de ne pas s’ériger en supérieur, de véritables dogmes. L’idée n’a pas toujours été facilement acceptée. « J’ai du lutter contre ma tendance naturelle à croire que j’ai raison et à la prise de décision individuelle, sûr de ma science » admet Perruche qui estime cependant que le dialogue, qui est au centre de la pratique actuelle est primordial. « Ma génération a été nourrie d’un modèle opposé à celui du médecin paternaliste. On nous a appris à vouloir tuer ce père fouettard médecin. On nous a appris la décision collégiale, la discussion avec le patient, l’entourage. On nous a appris à expliquer, expliquer et encore expliquer. La loi sur le droit des malades est venue couronner et légitimer ce mouvement. Je pensais que la profession avait intégré l’importance du partage pour sortir de la position du médecin tout puissant, figure divine, imposant ses oukases. Je croyais bêtement que la société avait aussi intégré cette évolution majeure de la pensée médicale. Et patatras, voici l’affaire dite « Bonnemaison ». 

L’euthanasie n’est pas son combat ni le mien, ça tombe bien. Par contre, ses mots sont terribles, il veut protéger contre elles-mêmes les personnes, famille, équipe soignante, en prenant les décisions seul et en agissant seul. Ce point est celui qui me dérange le plus. Il va à l’encontre de tout ce en quoi je crois dans la pratique médicale. L’importance de la parole, de l’explication, de la pédagogie faites aux patients, à sa famille et aux soignants. L’importance du dialogue, car parfois on se trompe et la confrontation permet de rétablir une situation. (…) Que lui reproche la seule famille partie civile ? L’absence d’échange » résume-t-il. Ainsi s’étonne-t-il que ceux qui ont glorifié la communication entre les médecins, et parmi eux l’ancien ministre de la Santé, Bernard Kouchner, se félicite, acclame même la décision de la Cour d’assises de Pau. « Ce praticien a trahi une approche basée sur le dialogue. Alors quand je lis que M Kouchner le défend, je ne comprends plus. Quand je lis qu’on applaudit au verdict, je me dis que nous avons fait fausse route en promouvant cette approche. (…) Ce jugement me laisse un étrange gout dans la bouche, un peu amer », conclue-t-il.

Médecins modernes : ces étranges outils des désirs sociétaux

Ces « applaudissements », cette liesse qui s’est manifestée à l’annonce du verdict à Pau ont également marqué l’auteur de « Docteur du 16 ». Cependant, ce qui choque ce praticien dans les affaires Bonnemaison et Lambert c’est « l’instrumentalisation de la médecine » par la société. « La sociétalisation de la médecine fait des médecins les outils des désirs sociétaux (et l'histoire nous dira s'ils étaient fous ou non), ces désirs qui sont instrumentalisés ou justifiés par la philosophie des Droits : "J'ai le droit de..." Et gare à ceux qui ne s'y conforment pas (…). Dans le cas Bonnemaison que l'on a décrit comme "assassin par compassion" il semble que son instrumentalisation (les acclamations de la salle d'audience à l'annonce de l'acquittement en témoignent) par les associations ne fasse aucun doute » affirme ainsi l’auteur de ce blog connu pour son franc parler et qui ne cache pas son hostilité à une telle dérive.

Appel au parquet

Une analyse proche parcourt l’une des nombreuses notes consacrées à l’affaire Bonnemaison par le journaliste et médecin Jean-Yves Nau. Lui aussi, frappé par les « vivas » qui ont entouré l’annonce par les jurés de l’acquittement du médecin de Bayonne évoque pour sa part la nécessité pour le parquet de faire appel de cette décision. Il ne s’agit pas pour lui seulement de rappeler que le docteur Nicolas Bonnemaison, même s’il n’est probablement pas un « assassin » n’a nullement respecté les règles élémentaires qui s’appliquent dans le lien avec les malades et leur famille, mais de rappeler l’indépendance de la justice face à l’influence de la société et de la politique. « Les formidables acclamations de Pau ont un effet redoutable : elles brouillent le « débat » sans cesse annoncé, sans cesse reporté, sur la fin de vie. L’acquittement plus que médiatisé  de cet ancien médecin vient compliquer le travail dont Marisol Touraine était chargée mais qui vient d’être confié à Jean Leonneti (UMP) et Alain Claeys (PS). Stephane Le Foll, porte-parole du gouvernement a expliqué que l’acquittement de Nicolas Bonnemaison « confortait » la volonté de ce même gouvernement « faire évoluer » le cadre législatif ». M. Le Foll n’utilise pas pleinement son droit à la parole : il ne dit pas ce qu’il entend par « faire évoluer ». (…) Dans ce non-dit d’un politique qui a peur des ombres, l’acquittement de Nicolas Bonnemaison ajoute à l’obscurité. Loin d’éclairer il vient compliquer une tâche rendue plus délicate encore avec la décision du Conseil d’Etat dans l’affaire Lambert (…). Aujourd’hui le parquet peut faire appel de l’acquittement. Cela n’effacerait certes pas les acclamations saluant les jurés. Cela aurait toutefois le mérite de surligner devant l’opinion la gravité du sujet qui est ici abordé. Le mérite, aussi, de rappeler l’existence d’une indépendance de la justice. Vivas ou pas » analyse ainsi Jean-Yves Nau.

Juristes et médecins : des opinions différentes

Ainsi, on le voit, la blogosphère médicale observe avec un profond malaise cette décision d’acquittement. Pour lire une opinion très différente sur ce sujet, il faut se rendre (assez étonnamment !) sur le blog d’un spécialiste de la justice : le président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczveig estime en effet pour sa part que le verdict de Pau est une « décision courageuse », prise par une « cour » ayant « décidé de ne pas céder à l’hypocrisie » !

Aurélie Haroche

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