Paris, le samedi 27 juin 2014 -
L’acquittement du docteur
Nicolas Bonnemaison ce mercredi 24 juin a été à l’origine de
nombreux commentaires sur les blogs de médecins et de juristes. Il
faut dire que cette décision à l’encontre des réquisitions du
Procureur général n’a laissé de surprendre et interroge
nécessairement sur la conception de la médecine et de la justice.
Il ne s’agit pas ici de relancer le débat autour de la légalisation
de l’euthanasie active, mais de mesurer les conséquences d’un tel
acquittement.
Retournement de veste de Bernard Kouchner
Pour le médecin auteur de "Perruche en automne", ce verdict est
une remise en cause d’une des évolutions majeures de la médecine
moderne qui a fait de l’inclusion du patient, de la nécessité de
tout expliquer dans un souci de transparence absolu, de
l’importance de ne pas s’ériger en supérieur, de véritables dogmes.
L’idée n’a pas toujours été facilement acceptée. « J’ai du
lutter contre ma tendance naturelle à croire que j’ai raison et à
la prise de décision individuelle, sûr de ma science » admet
Perruche qui estime cependant que le dialogue, qui est au centre de
la pratique actuelle est primordial. « Ma génération a été
nourrie d’un modèle opposé à celui du médecin paternaliste. On nous
a appris à vouloir tuer ce père fouettard médecin. On nous a appris
la décision collégiale, la discussion avec le patient, l’entourage.
On nous a appris à expliquer, expliquer et encore expliquer. La loi
sur le droit des malades est venue couronner et légitimer ce
mouvement. Je pensais que la profession avait intégré l’importance
du partage pour sortir de la position du médecin tout puissant,
figure divine, imposant ses oukases. Je croyais bêtement que la
société avait aussi intégré cette évolution majeure de la pensée
médicale. Et patatras, voici l’affaire dite « Bonnemaison ».
L’euthanasie n’est pas son combat ni le mien, ça tombe bien. Par
contre, ses mots sont terribles, il veut protéger contre
elles-mêmes les personnes, famille, équipe soignante, en prenant
les décisions seul et en agissant seul. Ce point est celui qui me
dérange le plus. Il va à l’encontre de tout ce en quoi je crois
dans la pratique médicale. L’importance de la parole, de
l’explication, de la pédagogie faites aux patients, à sa famille et
aux soignants. L’importance du dialogue, car parfois on se trompe
et la confrontation permet de rétablir une situation. (…) Que lui
reproche la seule famille partie civile ? L’absence d’échange
» résume-t-il. Ainsi s’étonne-t-il que ceux qui ont glorifié la
communication entre les médecins, et parmi eux l’ancien ministre de
la Santé, Bernard Kouchner, se félicite, acclame même la décision
de la Cour d’assises de Pau. « Ce praticien a trahi une
approche basée sur le dialogue. Alors quand je lis que M Kouchner
le défend, je ne comprends plus. Quand je lis qu’on applaudit au
verdict, je me dis que nous avons fait fausse route en promouvant
cette approche. (…) Ce jugement me laisse un étrange gout dans la
bouche, un peu amer », conclue-t-il.
Médecins modernes : ces étranges outils des désirs
sociétaux
Ces « applaudissements », cette liesse qui s’est manifestée à
l’annonce du verdict à Pau ont également marqué l’auteur de «
Docteur du 16 ». Cependant, ce qui choque ce praticien dans les
affaires Bonnemaison et Lambert c’est « l’instrumentalisation de la
médecine » par la société. « La sociétalisation de la médecine
fait des médecins les outils des désirs sociétaux (et l'histoire
nous dira s'ils étaient fous ou non), ces désirs qui sont
instrumentalisés ou justifiés par la philosophie des Droits : "J'ai
le droit de..." Et gare à ceux qui ne s'y conforment pas (…). Dans
le cas Bonnemaison que l'on a décrit comme "assassin par
compassion" il semble que son instrumentalisation (les acclamations
de la salle d'audience à l'annonce de l'acquittement en témoignent)
par les associations ne fasse aucun doute » affirme ainsi
l’auteur de ce blog connu pour son franc parler et qui ne cache pas
son hostilité à une telle dérive.
Appel au parquet
Une analyse proche parcourt l’une des nombreuses notes
consacrées à l’affaire Bonnemaison par le journaliste et médecin
Jean-Yves Nau. Lui aussi, frappé par les « vivas » qui ont entouré
l’annonce par les jurés de l’acquittement du médecin de Bayonne
évoque pour sa part la nécessité pour le parquet de faire appel de
cette décision. Il ne s’agit pas pour lui seulement de rappeler que
le docteur Nicolas Bonnemaison, même s’il n’est probablement pas un
« assassin » n’a nullement respecté les règles
élémentaires qui s’appliquent dans le lien avec les malades et leur
famille, mais de rappeler l’indépendance de la justice face à
l’influence de la société et de la politique. « Les formidables
acclamations de Pau ont un effet redoutable : elles brouillent le «
débat » sans cesse annoncé, sans cesse reporté, sur la fin de vie.
L’acquittement plus que médiatisé de cet ancien médecin vient
compliquer le travail dont Marisol Touraine était chargée mais qui
vient d’être confié à Jean Leonneti (UMP) et Alain Claeys (PS).
Stephane Le Foll, porte-parole du gouvernement a expliqué que
l’acquittement de Nicolas Bonnemaison « confortait » la volonté de
ce même gouvernement « faire évoluer » le cadre législatif ». M. Le
Foll n’utilise pas pleinement son droit à la parole : il ne dit pas
ce qu’il entend par « faire évoluer ». (…) Dans ce non-dit d’un
politique qui a peur des ombres, l’acquittement de Nicolas
Bonnemaison ajoute à l’obscurité. Loin d’éclairer il vient
compliquer une tâche rendue plus délicate encore avec la décision
du Conseil d’Etat dans l’affaire Lambert (…). Aujourd’hui le
parquet peut faire appel de l’acquittement. Cela n’effacerait
certes pas les acclamations saluant les jurés. Cela aurait
toutefois le mérite de surligner devant l’opinion la gravité du
sujet qui est ici abordé. Le mérite, aussi, de rappeler l’existence
d’une indépendance de la justice. Vivas ou pas » analyse ainsi
Jean-Yves Nau.
Juristes et médecins : des opinions différentes
Ainsi, on le voit, la blogosphère médicale observe avec un
profond malaise cette décision d’acquittement. Pour lire une
opinion très différente sur ce sujet, il faut se rendre (assez
étonnamment !) sur le blog d’un spécialiste de la justice : le
président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre
Rosenczveig estime en effet pour sa part que le verdict de Pau est
une « décision courageuse », prise par une « cour
» ayant « décidé de ne pas céder à l’hypocrisie » !
Aurélie Haroche