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Sunday, January 19, 2014


Affaire Vincent Lambert : les juges s’opposent à la suspension de son alimentation


Paris, le jeudi 16 janvier 2014 – 

Suivant l’avis de son rapporteur, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne saisi par une requête de référé liberté a estimé que Vincent Lambert, 37 ans, dans un état pauci-relationnel depuis cinq ans, ne pouvait être considéré comme victime d’un acharnement thérapeutique. De ce fait, la décision prise par le service de médecine palliative du Chu de Reims à l’issue d’une procédure collégiale, de suspendre son alimentation et son hydratation ne peut être appréciée comme une application de la loi Leonetti sur l’accompagnement de la fin de vie. Aussi, le tribunal a-t-il ordonné aux praticiens de ne pas exécuter leur décision et de ne pas interrompre l’alimentation du patient. Désormais, il appartient à l’hôpital et aux membres de la famille de Vincent qui s’étaient associés à ce choix d’indiquer ou non s’ils souhaitent porter l’affaire devant le Conseil d’Etat. Quelles que soient les suites que connaîtra cette affaire, elle est déjà devenue un cas emblématique des débats passionnels autour de la prise en charge de la fin de vie en France. Retour sur les circonstances particulières du drame de Vincent Lambert et les enjeux éthiques en présence.

Qu’est-ce qu’une famille ?

Début 2013, les médecins qui prennent en charge Vincent au sein de l’unité de soins palliatifs du CHU de Reims, constatant une modification du comportement du patient face aux soins, semblant suggérer un désir de mourir, décident à l’issue d’une procédure collégiale d’interrompre son hydratation et son alimentation, comme les y autorise la loi Leonetti.
Les parents de Vincent qui s’opposaient à cette décision avaient obtenu du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne son annulation et la reprise de l’alimentation et de l’hydratation (après 31 jours de suspension de l’alimentation !), au motif que l’ensemble des proches n’avait pas été correctement consulté. Alors que les tensions familiales restaient très fortes, au mois de septembre, l’établissement a souhaité initier une nouvelle procédure, dont la méthode a été bien au-delà des prescriptions de la loi Leonetti. Ainsi, une commission comptant quatre médecins extérieurs au service (contre un prévu par la législation) a été réunie, tandis que deux rencontres avec l’ensemble de la famille ont eu lieu. Finalement, le 11 janvier, le docteur Eric Kariger, rappelant que « la vie relationnelle du patient se restreignait de plus en plus » a une nouvelle fois annoncé sa décision de suspendre l’alimentation et l’hydratation de Vincent, afin de ne pas poursuivre des soins pouvant relever de l’acharnement thérapeutique déraisonnable.

Qu’est-ce que la fin de vie ?

Sans surprise, deux jours plus tard, les membres de la famille opposés à cette issue (soit ses parents, une sœur et un demi-frère) ont déposé une requête en référé liberté examinée hier à l’occasion d’une audience exceptionnelle par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Les neuf juges du tribunal étaient en effet présents pour entendre les différents représentants des familles avec pour objectif de répondre à une question cruciale : la loi Leonetti sur l’accompagnement de la fin de vie peut-elle s’appliquer au cas de Vincent Lambert. Dans ce cadre, les avocats des parents de Vincent Lambert qui s’opposent à la suspension de son alimentation ont tout d’abord fait valoir qu’il n’est pas « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable », situations dans lesquelles la loi Leonetti peut s’appliquer. « Vincent est handicapé, il n'est pas atteint d'un mal incurable, il n'est pas en fin de vie sauf si on lui retire son alimentation et son hydratation », a ainsi remarqué Maître Jérôme Triomphe hier devant le tribunal.

Qu’est-ce qu’un soin ?

Cette interprétation n’est cependant pas celle du rapporteur*,  qui a considéré en introduction que la loi Leonetti pouvait s’appliquer à Vincent et que contrairement à ce qu’affirmait la requête la procédure collégiale n’était entachée d’aucune illégalité. Mais si le patient relève de la législation du 22 avril 2005 c’est au titre de l’interdiction de l’acharnement thérapeutique. Les soins « ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris », précise le texte. Sur ce point, le rapporteur a estimé que l’on ne pouvait considérer que les soins reçus par Vincent Lambert, et notamment l’alimentation et l’hydratation, répondent aux critères « d’inutilité » et de « disproportion » qui permettraient de les considérer comme « déraisonnables ». Dès lors a-t-elle recommandé de ne pas permettre à l’établissement d’exécuter sa décision. « Il vous revient de faire cesser le danger qui pèse sur lui, le maintien de son alimentation devra être ordonné »,  a-t-elle conclu en s’adressant aux juges qui ont choisi de la suivre. Ne pouvant qu’être satisfait de cette argumentation, l’avocat des parents avait renchéri en considérant que l’alimentation et l’hydratation ne devaient pas être considérés comme des soins médicaux et devaient donc être exclus du champ de l’acharnement thérapeutique.
Cette interprétation va cependant à l’encontre de l’application « courante » de la loi Leonetti ces huit dernières années (l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation est d’ailleurs considérée comme une méthode inhumaine par les partisans de l’euthanasie active). D’ailleurs, le rédacteur de la loi, Jean Leonetti lui-même avait estimé qu’a ses yeux "son" texte pouvait s’appliquer à Vincent Lambert. Il avait précisé notamment que la notion de « maintien artificiel de la vie » peut s’appliquer à la « situation des états végétatifs ou pauci-relationnels ». Les juges ont cependant préféré entendre l’argumentation du rapporteur plutôt que celle de Jean Leonetti.

Qu’est-ce que la conscience ?

Outre ces interrogations sur la notion de « fin de vie » et sur la définition de l’acharnement thérapeutique, le cas Vincent Lambert a soulevé (et soulève encore) une multitude d’autres questions révélant les très grandes difficultés posées par l’interprétation de la Loi Leonetti (difficultés qui existeraient sans doute toujours avec une loi autorisant l’euthanasie qui par hypothèse ne peut prévoir a priori tous les cas). La situation dramatique de ce patient interroge ainsi également sur l’appréciation de l’état de conscience des malades en état pauci relationnel (sujet sur lequel ont été menées des études en neurosciences aux conclusions parfois troublantes). Certains experts et médecins du CHU se sont ainsi opposés devant le tribunal. « Je ne peux entendre dire qu’il est inconscient. Il a une conscience minimale plus, une vie physique et émotionnelle mais sans capacité à communiquer de manière fiable » a ainsi observé le docteur Jeanblanc. Le docteur Eric Kariger a répondu : « Oui, il est neurologiquement conscient (…) mais il n’a pas de vie relationnelle, or la vie c’est ça aussi ».

Qu’est ce que la vie ?

Ces discussions ajoutent à la longue liste des grands enjeux éthiques en présence dans cette affaire la question de la qualité de vie de ces malades et les échanges entendus hier ont rappelé l’extrême difficulté de se prononcer. Ainsi, alors que l’avocat de l’épouse de Vincent, Rachel, qui est en accord avec les médecins, a souligné que le patient avait avant son accident fait connaître son refus d’être laissé dans un état tel que le sien, l’avocat de la partie adverse lui a rétorqué : « Personne ne souhaite s’il est bien portant être dans la situation de Vincent Lambert, mais qui peut savoir maintenant ce qu’il en pense ». De son côté, le rapporteur a souligné « qu’il est impossible de juger du sens de la vie ». L’interprétation de la volonté du patient est ainsi également au cœur de ces discussions douloureuses. L’émotion suscitée par ces débats, les larmes des uns et des autres et la complexité du sujet n’auront cependant pas empêché certains avocats d’exploiter la tension de ce conflit familial. Maître Triomphe aura ainsi lancé : « La réalité, c’est que le Dr Kariger, dans cette affaire, ne sauve pas Vincent, il sauve Rachel ».

Qu’est-ce que la justice ?

Lourde de l’ensemble de ces déclarations, l’audience a été levée par un tribunal qui a tenu à manifester son extrême conscience de la gravité des faits et de l’importance de sa tâche. Il a d’ailleurs estimé qu’il lui était impossible de répondre dans les quarante huit heures imposées par le référé liberté et a reporté sa décision à aujourd’hui. Après en outre s’être même rapidement interrogé sur sa compétence, le président du tribunal a indiqué que son « appréciation » serait « uniquement juridique sans jugement de valeur sur les personnes, leur comportement ou leurs convictions spirituelles » (faisant ici allusion aux convictions religieuses de Vincent supposées influencer leur position). Il a enfin estimé  que « cette ordonnance ne fera pas jurisprudence mais initiera une jurisprudence ». Son choix de ne pas considérer l’alimentation et l’hydratation d’un patient en état pauci-végétatif comme un acharnement thérapeutique déraisonnable pourrait cependant remettre en cause nombre de décisions prises ces dernières années sous le sceau de la loi Leonetti.

*Devant la juridiction administrative, le rapporteur est un magistrat qui « expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ».
Aurélie Haroche

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