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Friday, January 31, 2014

Affaire Vincent Lambert : 

une ordonnance qui modifie profondément les repères de la loi Léonetti


 
Vincent Morel, 
président de la SFAP
Paris, le jeudi 30 janvier 2014  –
 L’impatience commençait à prendre la couleur de l’angoisse. Bientôt quinze jours que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait rendu sa décision concernant le cas de Vincent Lambert, tétraplégique en état de conscience minimale depuis cinq ans. Quinze jours que la justice avait affirmé que l’alimentation et l’hydratation de ce patient ne pouvaient être considérés comme des traitements le maintenant artificiellement en vie et être ainsi assimilés à de l’acharnement thérapeutique. Quinze jours qu’elle avait refusé que la décision collégiale prise par l’équipe de soins palliatifs du CHU de Reims de le « laisser mourir » ne soit appliquée. La famille déchirée de Vincent Lambert vivait depuis lors une attente insupportable : un recours serait-il formé devant le Conseil d’Etat ? Des déclarations du ministre de la Santé sur ce dossier, du mutisme du CHU on comprit rapidement qu’il était souhaité que le choix final, tragique, revienne à son épouse. Face au silence de cette dernière, les proches de Vincent Lambert favorables  à la décision de l’hôpital s’inquiétaient que le Conseil d’Etat ne soit finalement jamais saisi. Partout en France, les médecins exerçant dans les services de soins palliatifs partageaient la même inquiétude : pour eux la consultation des hauts magistrats s’impose en effet, tant l’ordonnance du tribunal de Châlons-en-Champagne remet totalement en question l’interprétation faite de la loi Léonetti sur la fin de vie depuis dix ans. Finalement, mardi 28 janvier, Rachel Lambert est sortie de son silence et a annoncé qu’un recours serait déposé, tandis que le 29 janvier le CHU indiquait qu’il la rejoignait dans cette action. Quelques jours avant que le Conseil d’Etat ne rende sa décision, le docteur Vincent Morel, président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs revient sur les raisons de l’extrême nécessité de cette « clarification ».

Par le Dr Vincent Morel
Président de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs
Le législateur par la loi du 22 avril 2005 sur « les droits des malades et la fin de vie », dite loi Léonetti, a assigné un cadre légal pour les décisions d'arrêt et de limitation de traitements.
S’il ne définit pas ce qu’il est juste de faire dans chacune des situations singulières vécues par les patients, les familles et les équipes de soins, il confirme certains repères (interdiction pour un médecin de donner la mort ; refus absolu de l’obstination déraisonnable) et impose aux équipes soignantes un processus identifié de délibération collective.
Lorsque le patient ne peut exprimer directement sa volonté, la décision de suspendre ou ne pas entreprendre un traitement relève de la responsabilité médicale. Le médecin doit néanmoins, avant de prendre sa décision, s’assurer de deux éléments fondamentaux : il doit vérifier que la situation du patient relève bien d'une obstination déraisonnable et rechercher également ce qu’aurait pu dire ou écrire le patient sur la situation présente.
C'est sur ces deux éléments que le tribunal de Châlons-en-Champagne apporte une analyse qui modifie profondément les repères sur lesquels pouvaient s’appuyer jusqu'à présent les médecins.

La définition d’un traitement maintenant artificiellement la vie en question

Pour qu’il y ait obstination déraisonnable il faut selon la loi d’avril 2005 que les traitements « apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. »
Le tribunal considère que Vincent Lambert est en « état de conscience minimale plus, impliquant la persistance d'une perception émotionnelle et l'existence de possibles réactions à son environnement ». Mais alors même qu'il confirme que la nutrition et l'hydratation artificielles par voie entérale consistent des traitements, il considère néanmoins que dès lors que ces traitements « peuvent avoir pour effet la conservation d’un certain lien relationnel, ils n'ont pas pour objet de maintenir le patient artificiellement en vie ».
Le tribunal considère ensuite que le caractère inutile ou disproportionné n’est pas caractérisé car : « le centre hospitalier universitaire de Reims n’a fait valoir aucune contrainte ou souffrance qui seraient engendrées par le traitement ». Le tribunal affirme alors que la loi Léonetti ne peut pas s’appliquer, non pas parce que Vincent Lambert serait handicapé ou pas en fin de vie, mais tout simplement parce que l’obstination déraisonnable n’a pas été caractérisée.

Qu'est ce qu'une obstination déraisonnable ?

Pour le moins, on peut considérer que le tribunal établit une jurisprudence de la définition de l'obstination déraisonnable alors même que la loi Léonetti laissait aux médecins, après le respect de la procédure collégiale, la possibilité d'approcher, en fonction de chacune des situations, la définition la plus juste possible de l'obstination déraisonnable. Si cette définition de l'obstination déraisonnable est confirmée, elle modifiera considérablement nos pratiques actuelles et nous incitera à poursuivre tout traitement à partir du moment où il pourra avoir « pour effet la conservation d’un certain lien relationnel ». Agir ainsi, conduira à un risque croissant d’acharnement thérapeutique et ira à l'encontre même des souhaits de nos concitoyens.

Quand la justice semble nier la possibilité de directive anticipée (en tout cas non écrite)

Dans son ordonnance, le tribunal analyse également l’expression de la volonté de Vincent Lambert. Lorsqu'une personne n’est pas en capacité de s'exprimer et qu'elle n'a désigné ni personne de confiance ni écrit ces directives anticipées, la loi Léonetti demande à l'équipe médicale de consulter la famille et/ou à défaut les proches pour essayer d'approcher au mieux le souhait exprimé par le patient. En l’espèce, le tribunal considère que l’épouse de Vincent Lambert n’a pas pu apporter la preuve des dires de son mari car son éventuelle expression n’est « pas datée avec précision » et « émanait d’une personne valide qui n’était pas confrontée aux conséquences immédiates de son souhait et ne se trouvait pas dans le contexte d’une manifestation formelle d’une volonté expresse ». La loi Léonetti nous demande de tout faire pour approcher avec la plus grande justesse l’avis possible de la personne malade. Par définition les avis recherchés ne peuvent êtres qu’oraux et la loi Léonetti ne nous demande pas de les caractériser avec précision (par exemple date et circonstances). Autre évidence, personne ne peut vivre une situation avant qu’elle ne survienne. Cet élément est une réserve constitutive de toute expression anticipée de la volonté (qu’elle soit écrite ou orale). Comme médecins nous en avons parfaitement conscience, car elle traverse tous les échanges que nous avons avec nos patients lorsque nous envisageons la conduite à tenir en cas d’évolution d’une maladie. Pour autant, s’il faut bien sûr en tenir compte, cette réserve ne saurait délégitimer la parole d’un patient. Pour les personnes qui ne peuvent plus s’exprimer et qui n’ont pas de personne de confiance ou écrit de directives anticipées, la recherche d’une intime conviction est donc le cœur de la démarche de la loi Léonetti et nous permet de prendre les décisions les plus appropriées.

En apportant une définition juridique et non pas médicale de l’obstination déraisonnable, en limitant la portée de l’avis exprimé par le patient, l’ordonnance du tribunal administratif bouleverse considérablement les repères de la loi Léonetti qui depuis plus de 10 ans maintenant nous permet de trouver la solution la plus humaine à des situations médicales toujours dramatiques. 
C’est la raison pour laquelle il est indispensable qu’un éclaircissement par le Conseil d’Etat soit apporté au risque de voir resurgir l’acharnement thérapeutique pourtant clairement refusé par nos concitoyens.

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