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Wednesday, May 29, 2013

Le Monde - Laisser partir Vincent est ma dernière preuve d'amour


"Laisser partir Vincent est ma dernière preuve d'amour"
LE MONDE | 29.05.2013 à 05h27 • Mis à jour le 29.05.2013 à 11h36
Propos recueillis par François Béguin  et Laetitia Clavreul



Elle avait jusqu'à présent gardé le silence. L'épouse de Vincent Lambert a choisi de s'exprimer. Son mari, 37 ans, est dans un état "pauci-relationnel", un état végétatif chronique, depuis un accident de la route, en 2008.
Dans le cadre d'une procédure collégiale prévue par la loi Leonetti, l'équipe médicale du CHU de Reims, où il est hospitalisé, a décidé le 10 avril l'arrêt de son alimentation et la limitation de son hydratation (son seul traitement). Elle avait constaté des comportements d'opposition lors des soins, faisant suspecter un refus de vivre. Hostiles à cette décision, ses parents et deux de ses frères et sœurs ont saisi le tribunal administratif, qui a ordonné, le 11 mai, la reprise de l'alimentation et de l'hydratation normales, au motif que ceux-ci n'avaient pas été consultés.
L'arrêt du traitement, Mme Lambert (qui ne souhaite pas voir son prénom apparaître) l'avait accepté "pour Vincent". Les traits tirés, la jeune femme de 32 ans raconte avec dignité son "cheminement" et la "violence" de la situation.
Qu'avez-vous ressenti en apprenant la reprise du traitement de votre mari?
Mme Lambert C'était d'une violence inouïe. Le matin même, et depuis un mois, il n'était plus alimenté, et d'un coup il l'était de nouveau. C'était inouï, au regard du long cheminement psychologique autour de sa fin de vie que nous avions parcouru, et des souhaits qu'il avait exprimés antérieurement. Je n'avais jamais vu Vincent autant apaisé que pendant l'arrêt des soins.
J'ai appris la décision du tribunal en allant lui rendre visite, je ne m'y attendais pas. Je n'avais eu connaissance que la veille de la procédure lancée par mes beaux-parents. La dernière fois que l'on s'était vraiment parlé avec ma belle-mère, nous avions pourtant évoqué les funérailles de Vincent.
Quel est votre état d'esprit ?
La médiatisation m'est tombée dessus et ce n'était pas mon choix. Vincent et moi étions des gens assez discrets. J'ai été outrée que notre histoire soit mise sur la place publique, qu'on révèle l'existence de notre enfant et qu'une photo de Vincent sur son lit d'hôpital soit diffusée, notamment à la télévision. J'ai également été choquée d'entendre, ici ou là, des absurdités sur son état ou que c'est moi qui aurais obtenu cette décision du médecin. On a entendu un seul point de vue, celui de la mère qui veut sauver la vie de son fils. Mais quelle vie ? Au nom de quels principes?
Quelle est la situation médicale de votre mari ?
Il a été dans le coma après son accident et il n'a pas fait de véritable progrès depuis. Au niveau médical, nous sommes allés jusqu'au bout pour faire avancer son état cognitif. Il a été pris en charge en 2009 au centre d'éveil de Berck (Pas-de-Calais) pendant trois mois et demi. Aucun signe n'a été détecté. En 2011, il a été diagnostiqué en "état de conscience minimal plus" au centre de recherche sur le coma (Coma Science Group) de Liège, en Belgique, dans le service du professeur Laureys. On nous a laissé entendre qu'il n'y aurait pas d'évolution possible.
Quel a été votre cheminement ?
Le premier jour, vous subissez de plein fouet. Votre mari est dans le coma, sous sédation. Vous vous dites que ce n'est pas vrai, qu'il va s'en remettre. Vous venez d'avoir un bébé, alors, pour vous, il n'y a pas d'autre option, il va revenir à la maison. Et puis, quand la sédation a été levée, j'ai vu qu'il enroulait ses bras. Etant infirmière, j'ai tout de suite compris que c'était un signe de souffrance neurologique, et donc que c'était bien plus grave que ce que je croyais.
Je ne connaissais pas la loi Leonetti sur la fin de vie. Je me suis dit qu'il n'y aurait désormais pour Vincent plus rien d'autre que de la souffrance, pendant des années, jusqu'à ce qu'il s'éteigne pour une raison ou pour une autre. Je savais que c'était une vie dont il n'aurait pas voulu. Nous sommes tous les deux infirmiers, nous en avions parlé.
En tant qu'épouse de Vincent, en tant que mère de son enfant, est-il possible de donner son accord aux médecins ?
Je n'ai pas donné un accord, j'ai accepté la décision médicale après avoir témoigné auprès des médecins de ce que je connaissais de Vincent. Je l'ai acceptée parce que j'ai compris qu'il n'y aurait pas de retour de Vincent à la conscience. Sa souffrance est reconnue par tout le corps médical et par un professeur d'éthique. C'est aussi une souffrance pour moi de le voir partir. Mais comparée à ce qu'il peut endurer, ça ne peut pas être mis dans la balance. Le laisser partir est la dernière preuve d'amour que je pouvais lui apporter.
Approuvez-vous le fait que la décision revienne aux médecins, et pas à la famille ?
Dans ce genre de situation, c'est important. C'est une sécurité d'un point de vue psychologique de ne pas avoir à porter le poids d'une telle décision. La culpabilité qui pourrait en découler est bien trop importante. C'est aussi une sécurité quand il y a désaccord au sein de la famille et que cela devient une affaire récupérée à des fins idéologiques.
C'est-à-dire ?
Avant même la décision du tribunal, il y a eu des articles sur des sites Internet, d'abord Riposte catholique . Même avec l'utilisation d'un pseudonyme, notre histoire était reconnaissable. J'ai reçu un courrier d'un membre de la Fraternité Saint-Pie-X, dont les parents de Vincent sont proches, qui me disait que je cautionnais "un processus de mort" et qui me demandait de "laisser vivre" mon mari.
On peut dire, pudiquement, que Vincent a souffert physiquement et moralement de cette Fraternité. Il l'avait reniée. C'est donc d'autant plus nauséabond que son histoire soit aujourd'hui récupérée par ces gens. Mon époux n'avait pas les mêmes opinions que ses parents, notamment sur la question de la fin de vie.
Estimez-vous que votre avis doit davantage compter que le leur ?
Je considère que, en tant qu'épouse, j'ai une véritable légitimité. Que le tribunal ait pris une décision sans m'entendre, du fait de la procédure engagée, cela m'a choquée, car seule une partie s'est exprimée. J'ai été évincée comme si je ne faisais pas partie de la famille de mon mari. Or nous sommes mariés, nous avons un enfant. Je représente sa première famille, celle qu'il a créée, celle qu'il a choisie.
J'ai accompagné Vincent chaque jour pendant quatre ans et demi. J'étais là quand il refusait les soins. On ressent une grande souffrance dans ces moments-là. Ses parents, eux, venaient le voir trois ou quatre fois par an. Quand on n'a pas la réalité en face, on peut peut-être davantage fantasmer sur un devenir qui n'est pas.
Vous avez dû témoigner au commissariat, à la suite d'un signalement au procureur pour interrompre l'arrêt des traitements. Comment l'avez-vous vécu ?
Les parents de Vincent n'ont peut-être pas mesuré la violence des termes et des actes qu'ils utilisaient. Une telle convocation, alors que vous accompagnez votre mari dans sa fin de vie dans l'amour et le respect, que vous êtes abattue, c'est très violent.
Comment voyez-vous la suite ?
J'aimerais que Vincent soit entendu et respecté dans ce qu'il était avant. Je continue de penser que cette décision d'arrêt des traitements est la bonne. Six de ses huit frères et soeurs partagent cette position. Et à ceux qui voudraient croire ou qui insinueraient, comme je l'ai lu, que j'ai intérêt à ce que mon mari parte, je voudrais dire que, malgré son handicap, il est toujours resté mon mari, et que la douleur de le perdre sera toujours aussi grande. Je ne le laisse pas partir pour moi, je le laisse partir pour lui.

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