Translate

Thursday, May 23, 2013

En soin palliatif, mieux accompagner la fin de vie


En soin palliatif, mieux accompagner la fin de vie
Propos recueillis par Edith Castel
Antoine Pelletier se définit comme chrétien, médecin, pneumologue. A la clinique Saint-Laurent de Rennes, il co-dirige une unité de soins palliatifs de 6 lits ouverte en 2000. L’établissement compte d’autre part 5 lits identifiés soins palliatifs spécifiques dans le service pneumologie et 4 lits identifiés soins palliatifs en soins de suite. Interview.

   Église en Ille-et-Vilaine : Qu’est-ce qui vous a poussés à ouvrir une unité de soins palliatifs ?

Antoine Pelletier : La Providence… mais l’idée initiale était d’améliorer les conditions de fin de vie des patients cancéreux pris en charge dans nos services mais aussi ceux qui viennent de l’extérieur : domicile, centre anticancéreux, hôpitaux….
  Que met-on derrière ce terme « soins palliatifs » ?
La définition de la Société Française d’Accompagnement des Soins Palliatifs est la suivante : « Ce sont des soins qui s’adressent au malade en tant que personne humaine… Ils intègrent aussi la formation et le soutien des soignants… La qualité de vie du patient prédomine.
Les soignants cherchent à soulager la souffrance dans ses différentes composantes, à améliorer le confort du patient, à apporter un soutien à son entourage… » A Saint-Laurent, nous avons choisi l’appellation « Soins Continus », car je pense que les soins, à toute étape de la vie, devraient être donnés dans le même état d’esprit, même si les moyens sont différents.
  Les soins palliatifs sont-ils une bonne approche ?
Au départ, c’est une bonne idée. Il était urgent de s’intéresser à la prise en charge de la personne en fin de vie, de soulager sa douleur, d’accompagner sa souffrance, de lui permettre de vivre le mieux possible ce qui lui restait à vivre.
  Au départ, seulement ? Ça veut dire qu’aujourd’hui, vous pensez différemment ?
Aujourd’hui, pour être schématique, il me semble que considérer qu’une personne est un être humain trois mois avant de mourir, c’est un peu tard !
Les unités de soins palliatifs font du bon travail, mais elles sont un mal « nécessaire  » en attendant que tous les services aient du personnel formé à l’accompagnement des personnes et prêt à se laisser interroger. Je pense que l’objectif des unités de soins palliatifs est de pouvoir disparaître un jour.
  Vous pouvez développer ?
On n’est pas hospitalisé pour un cor au pied. Toute personne hospitalisée est en situation de souffrance, que ce soit en réanimation, en cardiologie ou en pneumologie…
La maladie vécue comme un risque de mourir amène la personne à s’ouvrir et à faire un bout de chemin. Si dans un service il y a une équipe capable d’accompagner la personne, c’est mieux que d’attendre que celle-ci développe une maladie fatale et qu’elle se retrouve ultérieurement dans une unité de soins palliatifs.
Plus tôt on prend le patient en charge, moins on a de travail, plus on lui rend service et moins il accumule de nouveaux traumatismes.
Pour la plupart de nos contemporains, les unités de soins palliatifs sont pour l’accompagnement des mourants… Les critères administratifs le sousentendent puisqu’ils stipulent que les patients y sont admis trois mois avant la fin de la vie. Ceci dit, sait-on qui va mourir dans trois mois !
Et de toutes façons, la focalisation sur la fin de vie me paraît une erreur. Il y a une spécificité du mourir qui nécessite des soins particuliers en fin de vie. Les unités de soins palliatifs seront toujours utiles pour des pathologies lourdes, des personnes sans logement, mais la première urgence, à mes yeux, c’est de mourir décemment dans une maison de retraite ou dans toute autre structure.

  Que représente pour les patients l’arrivée dans votre unité ?
Sûrement un tournant dans leur maladie. Parfois une paix, souvent un choc immédiat ou retardé : A un moment où à un autre ils seront confrontés à la nécessité d’ouvrir les yeux, soit à cause de l’évolution de leur propre maladie, soit parce qu’autour d’eux, il y aura des décès. Pour la plupart des patients et des familles, c’est un choc.
  Parce que soins palliatifs égale mort ?
Dans la mentalité actuelle, oui. Même si cette expression est piégée, car 20% des malades qui passent par notre unité en sortent. En fait, un malade c’est comme une plante, quand on l’arrose, elle redémarre.
Les soins palliatifs peuvent raccourcir la vie parce qu’ils s’accompagnent d’une prise de conscience de l’état du malade et qu’ils peuvent déboucher sur une acceptation. Mais certains patients y trouvent un moyen de rebondir. Certains meurent en y entrant, ce n’est pas forcément une mauvaise chose, ça peut signifier qu’ils sont arrivés au port.
Personnellement, je ne dis pas à un patient : « Vous allez passer en soins palliatifs ». J’explique le fonctionnement du service : le nombre de soignants, les rythmes de soin, la liberté de manger à l’heure qu’ils veulent, le fait qu’un membre de la famille peut dormir dans la chambre sur un lit prévu à cet effet. Et parfois le terme « palliatif » vient au jour.
  Est-ce que ce type de soins peut pallier les demandes d’euthanasie  ?
Derrière la demande d’euthanasie se cache souvent une demande de vivre autrement. Lorsqu’un patient en fait la demande, je lui dis « Je comprends que vous en ayez assez, essayons de trouver ensemble la réponse ». Ce qui demande du temps et de l’écoute.
Si la relation se crée, il arrive que la vraie demande (vivre autrement) se précise, parfois très concrètement  ; alors la demande s’atténue. Lorsque le malade persiste et que sa souffrance est trop grande, on peut le faire dormir. Sachant que ce n’est pas forcément une bonne réponse, mais qu’on le fait avec prudence.
  Ça doit être lourd pour l’équipe ?
Oui et non. Ce qui permet de le vivre, c’est justement la vie d’équipe. Chaque jour, nous avons une réunion et nous parlons des patients. On se connaît bien, on se fait confiance, c’est important pour les décisions : même si c’est le médecin qui les prend, il doit pouvoir être éclairé par l’équipe et argumenter avec elle.
  L’équipe vous permet d’éviter l’investissement personnel ?
L’équipe est capitale par l’attention mutuelle, parfois critique, qui aide à garder une juste distance, à ne pas se brûler les ailes. Mais l’équilibre entre l’indifférence et l’excès affectif n’est pas dans la stricte neutralité. Aimer c’est prendre des risques. Ceci dit, l’usure existe, surtout lorsque vous entrez dans un accompagnement particulier avec une personne, car ce n’est pas facile d’avoir la double casquette de confident et de médecin traitant.
  Vous vous définissez comme ‘chrétien et médecin’.
Quand je vois mourir une personne, c’est toujours le visage du Seigneur. C’est toujours une question pour moi. En même temps, ces malades nous font vivre. Ce que j’apprends au chevet des mourants, m’aide à soigner les autres, à me situer autrement devant eux.
L’accompagnement des personnes en fin de vie est pour moi d’ordre trinitaire : quand un patient vous choisit pour l’accompagner, c’est un peu comme si le fils choisissait le père. Et de cette relation naît l’imprévisible.

No comments:

Post a Comment