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Saturday, May 18, 2013

La fin de vie dans une unité de soins palliatifs


La fin de vie dans une unité de soins palliatifs
Créé le 15-03-2012 à 16h13 - Mis à jour le 18-03-2012 à 18h49

Par Doan Bui
Les peurs des malades, mais aussi les moments d'apaisement, sont le lot quotidien de l'unité de soins palliatifs des Diaconesses, un groupe hospitalier parisien.  



Une infirmière avec un patient dans une unité de soins palliatifs (JDD/SIPA)

A l'unité des soins palliatifs des Diaconesses, un groupe hospitalier du 12e arrondissement de Paris, ce qui frappe, c'est le calme. Ici, il n'y a plus rien que l'attente. C'est si étrange, ce temps suspendu d'avant la mort. La mort, c'est un mot qu'évitent de prononcer les équipes du docteur Gilbert Desfosses.
"Nous, nous nous occupons de la vie. De la vie qui reste à vivre, insiste-t-il. C'est difficile à comprendre dans notre société qui refuse la mort." L'agonie, le deuil, voilà ce que ses équipes gèrent pourtant aussi au quotidien. "C'est sûr, quand tu dis où tu bosses, ça jette un froid", confesse Danielle (1), infirmière, une des pionnières du service. Tous ont choisi d'y travailler par vocation.
"Je voulais avoir le temps de m'occuper davantage des patients", dit Dominique. Prendre le temps, tenir compte de la souffrance, se souvenir de ceux qui sont partis aussi. Toutes les trois semaines, lors de réunions, l'équipe évoque les patients décédés, un rituel. Jour après jour, c'est obstinément de vie qu'on parle, même si l'on sait que les patients sont condamnés.
On évoque les soins physiques, mais aussi psychologiques. Les soignants ne se contentent pas d'administrer des piqûres. Ils calment les peurs et les angoisses, expliquent, consolent un mari ou une épouse endeuillés. Dans le livre de deuil du service où tous les décès sont répertoriés, ils consignent les derniers instants des défunts : date, heure, circonstances, nom des personnes présentes. Sans omettre une précision : "Calme, serein, mort à 2h45, en présence de l'infirmière" ou encore "Sensation d'étouffement, malaise, mort à 15h01" ou "Mort à 3h20, seul".
Chambre 130
Louis est fatigué mais il sourit, un sourire émacié qui illumine son visage fatigué par les séances de chimiothérapie. Son corps, il ne sait plus qu'en faire. Pour passer d'une chaise à l'autre, il doit être porté par Stéphane, l'aide-soignant. "Le moindre mouvement peut faire mal. On fait très attention", observe ce dernier.
Le soin de bouche aussi peut être une torture, quand un rien vous fait vomir. Délicatement, Stéphane sort une petite sucette et entreprend le lavage de dents : "Menthe, ou même saveur ananas." Arrivé aux soins palliatifs quelques jours plus tôt, Louis trouve qu'ici, "c'est le paradis". Contrairement à d'autres patients qui ne veulent pas savoir, lui sait parfaitement ce que signifie d'être ici.
Il dit que "son temps est venu", que pour lui, "il n'y a plus rien à faire". Qu'il aurait aimé que cela "se passe autrement, plus tard, peut-être". "Tout le monde y passe, non ?" lâche-t-il. Louis était cuisinier, il a fait de la boxe amateur, une vie bien remplie qu'il évoque au passé. Demain, sa soeur lui apportera du fan à la vanille. Aujourd'hui, un rayon de soleil illumine la chambre. Il ferme les yeux et sourit.
Chambre 140
M. S., 40 ans, est arrivé depuis une semaine. Il a un cancer gastrique et ne peut plus manger. "Son état s'aggrave, ses yeux sont cireux", dit Pauline, l'interne. Les soignants sont torturés car M. S. a toujours faim et il est impossible de répondre à cette faim. Une sonde le nourrit. "Je ne suis pas sûre que cela soit de la vraie faim. Plutôt le souvenir de la faim."
Les infirmières ont tenté un "BYC" - "bouillon, yoghourt, compote", bref, un peu de nourriture solide. Mais une douleur à l'estomac se réveille. Horrible supplice. M. S. est anxieux, on lui donne de l'Hypnovel. Il ne le supporte pas. Il se sent sédaté, endormi. Il a l'impression que c'est le médicament qui le fait mourir et non le crabe qui le ronge de l'intérieur.
Quand on lui donne du Xanax, il faut insister, dire que c'est pour calmer les douleurs. Il refuse de prendre les comprimés car il craint que ce ne soit des somnifères. Il préfère avoir mal. Ce qui lui fait le plus peur, c'est de sombrer dans ce sommeil de plomb comateux, qui, pour lui, évoque la mort.
Chambre 141
Yolande, tout le monde la connaît bien dans le service. Elle a été hospitalisée pendant quatre mois, après un long parcours de souffrance en oncologie. Elle était presque soulagée, à son arrivée, de laisser tomber les traitements. Au bout d'un mois, son état s'est amélioré. Cela se produit, parfois, aux soins palliatifs. Ce n'est pas si facile à vivre.
"Elle a dû être renvoyée en oncologie, dit Danielle, l'infirmière. Elle et son mari ne comprenaient pas ce qui arrivait." Quelques mois à nouveau de chimio, les rayons. Puis la rechute. Elle est revenue aux soins palliatifs. Beaucoup plus mal qu'avant. "On ne peut plus la toucher.
Elle a tellement peur d'avoir mal, c'est une angoisse perpétuelle. Avant, on se mettait près d'elle, on lui caressait la main, ça l'apaisait", dit Danielle. Ce matin, elle lui a fredonné une berceuse. Et Yolande s'est endormie. "La mort, la naissance, c'est si proche... Peut-être que quand on s'approche de la mort, on redevient enfant."
Chambre 143
La chambre 143 est vide. Avant-hier, M. B. est mort, après quelques jours dans le service. Dans le couloir, comme dans ces tragédies antiques, les femmes, l'épouse, les soeurs hululaient, en de longs sanglots déchirants. Marie nettoie la chambre. Cet après-midi, on attend une nouvelle patiente.
Les souvenirs affluent. Tiens, c'est justement dans la 143 qu'il y avait cet autre vieux monsieur, très gentil. Armand. Il y est resté très longtemps. Il n'aimait pas manger seul. Alors Marie descendait lui acheter une quatre-saisons à Pizza Hut et ils la partageaient. Un jour qu'il voulait toucher de la terre, aidée d'une collègue, elle a poussé le lit jusqu'au jardin de l'hôpital.
Elles ont creusé et lui ont mis une motte de terre dans la main. Armand l'a humée et il a souri. Il est mort deux jours après. Marie chante très souvent. Elle est si calme. Comme Marie-Hélène, membre de l'équipe des bénévoles. Elles se relaient au chevet des patients et travaillent de concert avec les soignants. La journée, mais aussi lors de ces longues nuits solitaires où l'angoisse se réveille. "On parle. Il y a beaucoup de sérénité. Ici, le temps a une autre valeur, peut-être parce qu'il n'en reste plus beaucoup."
Chambre 144
Quand Mme J. va à la toilette, c'est toujours les yeux fermés. Elle ne peut plus supporter de voir son corps, et surtout sa poitrine, rongée par une tumeur, une plaie béante que l'on peut à peine regarder. "Elle est très en colère, très atteinte. D'ailleurs, même pour nous, c'est dur devoir ça", dit Isabelle, infirmière, toute nouvelle dans le service. Un matin, elle est allée la voir à sa toilette, mais de crainte d'être aspergée, elle n'est pas rentrée dans la douche. "Elle a cru que j'étais dégoûtée. Ca s'est mal passé." 
Ses collègues la réconfortent. Caroline, une collègue, qui a réussi à "apprivoiser" Mme J., explique qu'elle la lave à la main, sans gants. "Elle sent que je n'ai pas peur, elle est en confiance." Pour beaucoup de patients arrivés à ce terminus, il est difficile d'accepter ce corps supplicié. Corinne, qui travaille à mi-temps comme socio-esthéticienne, propose des soins de beauté, maquille l'une, coiffe l'autre. "C'est important de se réconcilier avec son image. Pour les patients, mais aussi pour leurs proches."
Chambre 149
Mme C. a 91 ans. Sa famille piétine dans le couloir. Elle ne le supporte plus. "Faites partir mes enfants, je veux mourir sans eux", a-t-elle crié aux infirmières. Mais la famille ne veut pas entendre. Ils veulent être là pour ses derniers jours. Elle affirme qu'elle est prête à partir. "Ce matin, elle a demandé si on faisait les piqûres pour mourir", dit Danielle, l'infirmière. Dans le service, le débat sur l'euthanasie suscite la méfiance. Trop de raccourcis, trop de passions.
"Il faut déconnecter ce débat de ce que nous faisons, nous. Peu de patients réclament de mourir. Es ont besoin de temps pour dire adieu aux leurs. Je me rappelle d'une institutrice arrivée, seule, sans famille, sans amis. Elle m'a dit tout de suite qu'elle voulait une euthanasie. En finir tout de suite, le plus vite possible, dit le docteur Gilbert Desfosses. Elle a finalement compris qu'elle aussi aurait besoin de temps pour s'en aller."
La loi Leonetti de 2005 a renforcé les droits des patients en fin de vie, en s'opposant notamment à l'acharnement thérapeutique. Chacun peut désormais rédiger des "directives anticipées" pour son décès, concernant notamment l'arrêt des traitements. "Aucun de nos patients ne les a fournies. Personne ne veut penser en avance à sa mort. Au moment où elle se rapproche, tellement de choses changent. C'est très rare, ceux qui s'en tiennent à leur décision." Le docteur Desfosses se souvient d'un père de famille trentenaire atteint d'une tumeur au cerveau. "Il avait toujours dit qu'à un certain stade de la maladie, quand il ne pourrait plus se lever, il arrêterait les corticoïdes. Ca voulait dire abréger sa vie. Quand effectivement cela est arrivé, il a jeté à la poubelle ses médicaments. Il est parti peu après."
(1) Les prénoms ont été changés.

Article paru dans "le Nouvel Observateur"  du 15 mars 2012

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