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Friday, December 12, 2014

Fin de vie : pourquoi Hollande a joué la prudence

Ce vendredi 12 décembre, les députés Alain Claeys (PS, Vienne) et Jean Leonetti (UMP, Alpes-Maritimes) doivent remettre à François Hollande les conclusions de leur mission parlementaire sous la forme d’un rapport et – point crucial – d’une proposition de loi.
12/12/14 - 09 H 16

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Échaudé par la contestation massive de la loi Taubira sur le mariage pour tous, l’exécutif a, sur la fin de vie, joué la carte de la prudence et recherché le consensus.
C’est l’histoire d’une stratégie à front renversé. Au départ, il y avait deux engagements présidentiels perçus comme deux « marqueurs de gauche » : lors de la campagne de 2012, le candidat Hollande avait promis d’ouvrir le mariage aux personnes de même sexe (engagement 31 de son programme) et de légaliser une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité » (engagement 21, lire en repères). À mi-mandat, la différence des stratégies engagées pour les mettre en œuvre est frappante. Retour en arrière.
> À lire : Notre dossier spécial sur la fin de vie

La réforme du mariage a laissé des traces

La réforme du mariage a été menée tambour battant au parlement par la ministre de la justice, Christiane Taubira, qui est restée en première ligne des réflexions sur le projet de loi jusqu’à la promulgation du texte créant le « mariage pour tous ». Le gouvernement, toutefois, ne s’attendait pas à l’ampleur de la contestation qui s’est traduite, à partir de novembre 2012, par des manifestations de masse dans différentes villes. Pour autant, il n’a jamais été question pour l’exécutif de réviser le fond du texte, encore moins d’y renoncer. Mais l’épisode a laissé des traces et participé à l’affaiblissement d’un gouvernement par ailleurs critiqué sur le plan économique.

François Hollande choisit de se donner le temps

Il en est allé autrement de l’approche des questions de fin de vie, où la prudence a prévalu. Peu de temps après son élection, François Hollande donne le ton lors d’une allocution à la Maison Notre-Dame du Lac, près de Paris : non seulement le chef de l’État choisit de s’exprimer dans une unité de soins palliatifs, mais il se donne le temps de la concertation en nommant une mission de réflexion dirigée par l’ancien président du Comité consultatif national d’éthique, Didier Sicard.
L’ADMD, l’association qui milite depuis plus de 30 ans pour la légalisation de l’euthanasie et qui pensait l’avoir emporté, accuse le coup. « Il fallait faire passer les deux réformes en même temps et tout de suite, pendant l’état de grâce », estime aujourd’hui son président, Jean-Luc Romero.


 
En réalité, les deux engagements présidentiels ne sont pas de même nature. « Légiférer sur la fin de vie, c’est impliquer toute une profession, celle des soignants », rappelle ainsi le P. Bruno Saintôt, qui dirige le département d’éthique biomédicale du Centre Sèvres, à Paris. L’exécutif en est conscient, d’autant que le conseiller santé de François Hollande, Olivier Lyon-Caen, est médecin, professeur de neurologie à la Pitié Salpêtrière.

le pouvoir considère les professionnels de santé comme des interlocuteurs

Quand les plus fervents partisans de l’euthanasie voudraient se passer de leur avis, au motif qu’il faut « remettre le patient au centre », le pouvoir considère les professionnels de santé comme des interlocuteurs légitimes et essentiels. On les écoute, on les consulte. Les premiers « débats citoyens » de la mission Sicard montrent d’ailleurs leur implication. Médecins, infirmières, psychologues sont nombreux à y participer, un peu partout en France, à l’automne 2012.

Marisol Touraine mise de côté

La ministre de la santé, elle, n’aura jamais vraiment la main. Les positions fermes de Marisol Touraine en faveur d’une aide active à mourir ne sont pas compatibles avec le souhait d’avancer dans la concertation, en laissant des options ouvertes. « La ministre est rétive à toutes autres idées que les siennes », soupire un expert du dossier. Lors de la remise du rapport Sicard fin 2012, la lettre de mission envoyée au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) – destinée à poursuivre la réflexion – émane ainsi de l’Élysée, et non du ministère. De bout en bout, c’est à la présidence que les choses se joueront.

le risque d’ouvrir un nouveau front 

D’autant que les succès de la Manif pour tous n’incitent pas à pousser les feux. Le 13 janvier 2013, entre 340 000 et 800 000 personnes manifestent contre le mariage homosexuel. L’exécutif voit déjà se profiler un slogan repoussoir, « l’euthanasie pour tous »… « Il ne voulait pas prendre le risque d’ouvrir un nouveau front », analyse Bruno Saintôt. Maintes fois annoncé, le projet de loi sur la fin de vie est repoussé à plusieurs reprises, laissant place à une nouvelle consultation. Après l’avis du CCNE de juillet 2013, un panel de 18 citoyens propose, cinq mois plus tard, de légaliser le suicide assisté. Avant un nouveau rapport du comité d’éthique, destiné à faire la synthèse globale du débat public.

le bon usage de la démocratie participative

« Cette approche a permis de cerner les attentes de la population : les Français veulent avant tout être écoutés et soulagés à la fin de leur vie », note Vincent Morel, le président de la Société française de soins palliatifs. Régis Aubry, lui, salue « le bon usage de la démocratie participative ». À la tête de l’Observatoire national de la fin de vie, il se réjouit que ces débats aient permis de dépasser les seules questions de l’euthanasie et du suicide assisté. À l’ADMD, les militants s’étranglent : « On a vécu deux ans et demi de reculades, d’incapacité à décider, dit l’un d’eux. Le gouvernement a cherché un consensus qui n’existera jamais. »


De fait, à partir de juin, la recherche du consensus se fait de plus en plus pressante. Une mission parlementaire confiée à deux députés, l’un de droite, l’autre de gauche, est chargée par Manuel Valls, de faire des propositions autour d’un triple objectif : développer la médecine palliative, renforcer les directives anticipées et améliorer les pratiques de sédation (lire page précédente). On ne parle plus de suicide assisté, condition posée par l’UMP Jean Leonetti – qui a donné son nom à la loi de 2005 – pour participer à ce travail. Sans surprise, c’est à l’Élysée que les deux élus remettront leurs conclusions, ce matin.

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