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Thursday, July 3, 2014

Dépister le cancer colorectal

 après 75 ans ?

Dans ses dernières mises au point sur le cancer colorectal (CCR), l’US Preventive Services Task Force (USPSTF) a préconisé de débuter le dépistage à 50 ans et de le poursuivre jusqu'à 75 ans par colonoscopie, sigmoïdoscopie ou recherche de sang occulte dans les selles à l’aide  d’un test immunochimique (FIT). Cette instance n’est pas favorable à sa prolongation au-delà de 75 ans et ne formule aucune recommandation concernant spécifiquement les sujets âgés ayant antérieurement "échappé" au dépistage. Nombre de médecins en concluent hâtivement que tout dépistage est inutile au-delà de cet âge. Or, les individus âgés, non dépistés, représentent près de 23 % des Américains de plus de 75 ans et ont un risque plus élevé de développer un CCR que ceux régulièrement suivis dans le passé. Se pose donc le problème de l’efficience et du rapport coût/efficacité de la mise en œuvre  d’un dépistage dans cette tranche spécifique de population. Deux éléments importants sont alors à considérer. En premier lieu, le risque de décès, toutes causes confondues, augmente avec l’âge, en réduisant le bénéfice éventuel. En second lieu, les risques inhérents au dépistage (complications liées à la colonoscopie, surdiagnostics, traitements par excès) sont également en hausse avec les années.
Etude du nombre de QALY gagnées sur un modèle F van Hess et ses collègues ont tenté de déterminer jusqu'à quel âge un dépistage était utile et quel type de procédure était indiquée. Ils ont, dans ce but, utilisé un modèle de micro simulation de développement des CCR, dénommé MISCAN-colon, mis au point par le département de Santé Publique de l’Université Erasmus (Rotterdam, Pays- Bas). Ce modèle, établi à partir d’études observationnelles et expérimentales, analyse l’histoire vie entière de larges populations théoriques après simulation de la survenue  d’un ou plusieurs adénomes coliques, progression vers un pré cancer, puis transformation en véritable tumeur maligne et progression du stade I au stade IV. Il permet de quantifier l’efficacité du dépistage et son coût en fonction de différents paramètres tels que l’âge, le stade et la localisation tumorale, les comorbidités…Les auteurs ont pu ainsi tester 45 cohortes virtuelles  d’un million  d’individus chacune, entre 76 et 90 ans. Les critères de l’étude ont été le nombre  d’années de vie gagnées, ajustées pour leur qualité (QALY), les coûts générés par le dépistage et donc le rapport coût/QALY, dans une perspective essentiellement sociétale. En prenant comme base $ 100 000 par QALY gagnée, ils se sont attachés à déterminer la stratégie optimale en fonction de l’âge et des comorbidités.
Dans une population de sujets âgés préalablement dépistés de façon régulière, la prévalence des CCR est faible, de l’ordre de 0,3 % et celle des adénomes vers 2,6 %. Elle est notablement plus forte chez les sujets antérieurement non suivis, passant respectivement à 14,1 % pour le CCR et à 44,9 % pour les adénomes coliques. Mais l’efficacité du dépistage dépend essentiellement de l’âge des sujets. Une colonoscopie unique pratiquée à 90 ans permet en moyenne de prévenir 4,5 CCR alors que ce nombre s’élève à 11,9 quand elle est effectuée à 76 ans. En terme de bénéfices en matière de santé, à cet âge, elle est responsable de 67,2 QALY gagnées/ 1 000 personnes dépistées mais, à 90 ans, entraîne, au contraire, une perte de 1,7 QALY/1 000. L’étude révèle aussi que le dépistage par sigmoïdoscopie est, dans l’ensemble, moins performant que celui par colonoscopie, hormis pour les individus très avancés en âge.

Dépistage plus onéreux et moins efficace avec l’âge

Alors même que l’efficience du dépistage décroît avec les années, le coût  d’une colonoscopie augmente considérablement, allant de $ 725 000/1 000 personnes en bonne santé âgées de 76 ans à $ 2 130 000/1 000 personnes également en bonne condition physique mais âgées de 90 ans. Parmi les différentes stratégies possibles, la colonoscopie est la plus onéreuse. A 76 ans, comparativement, le coût estimé de la sigmoïdoscopie est de $ 439 000 et celui  d’un FIT de $ 218 000. Pour les 3, le rapport coût/efficacité tend à se dégrader rapidement avec les années. On peut toutefois estimer que, chez les sujets sans comorbidité notable, la colonoscopie et la sigmoidoscopie restent  d’un bon rapport coût/ efficacité jusqu’à 85 ans et que la pratique  d’un FIT est utile jusqu’à 86 ans. En cas de comorbidité sévère, ces limites s’abaissent, de l’ordre de 79 ans pour les endoscopies et de 80 ans pour le FIT. Avec un seuil de $ 50 000/QALY gagnée, il est possible de conclure que le dépistage de sujets âgés non suivis antérieurement est envisageable jusqu’à 84 ans quand l’état général est bon, jusqu'à 80 ans en cas de comorbidité modérée et jusqu’à 77 ans en cas de pathologie associée sévère.
Le dépistage des CCR est donc utile au-delà de 75 ans chez les individus antérieurement non dépistés. Malgré l’augmentation, au fil des années, de l’incidence des CCR, le risque plus important de décès, toutes causes confondues et le nombre plus conséquent de surdiagnostics et de traitements par excès en diminuent toutefois l’efficience. Les résultats de ce travail rejoignent ceux de Ko et Sonnenberg, publiés dans Gastro Enterology en 2005 ainsi que ceux de Lia, parus dans le JAMA en 2006. Ils sont aussi à mettre en parallèle avec les recommandations de l’USPSTF. Deux réserves principales doivent cependant être signalées à cette publication.
Aucune analyse séparée n’a été effectuée en fonction du sexe et de l’ethnie. L’étude n’a concerné que des sujets âgés à risque moyen de CCR et non des individus à haut risque tels ceux avec des antécédents familiaux de CCR.
En résumé, aux USA, prés de 23 % des sujets âgés n’ont, au cours de leur vie, jamais fait de dépistage du CCR. Le risque augmentant avec l’âge, dans cette population, un dépistage, avant tout par colonoscopie doit être envisagé au-delà de 75 ans, jusqu’à 86 ans en l’absence de comorbidité, 83 ans en cas de co morbidité légère et 80 ans en cas de co morbidité notable.
Dr Pierre Margent
Références
van Hess F et coll. : Should Colorectal cancer Screening Be Considered in Elderly Persons without Previous Screening? Ann Intern Med., 2014; 160: 750- 759.

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