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Saturday, September 20, 2014

Dépistage du cancer de la prostate : 13 ans de recul

L’Etude Européenne Randomisée du Dépistage du Cancer de la Prostate (ERSPC) a démontré la preuve de l’utilité d’un tel dépistage, avec une réduction significative de la mortalité spécifique à 9 puis 11 ans. Malgré ces résultats notables, le dépistage du cancer prostatique reste, de nos jours, controversé, du fait du nombre considérable de sur diagnostics induits, et donc de risque accru de traitements par excès et de iatrogénie.
Dans une livraison récente du Lancet, FH Schröder et collaborateurs rapportent les résultats actualisés de l’ERSPC jusqu’en 2010, soit après un suivi de 9, 11 et 13 ans. L’ERSPC est, on le rappelle, un essai multicentrique, randomisé, sur le dépistage du cancer de la prostate par dosage de l’antigène prostatique spécifique (PSA), dont le but était de comparer la mortalité spécifique à distance dans un groupe intervention, pour lequel un dépistage était proposé vs un groupe contrôle. L’étude a débuté en 1993 aux Pays Bas et en Belgique avant d'être étendue à 5 autres pays européens, puis, enfin, à 2 centres français en 2000 et 2003. Les participants étaient des hommes âgés de 50 à 74 ans, pour l’essentiel entre 55 et 69 ans, recrutés à partir des registres de population, puis randomisés de façon centralisée avec une allocation de type 1:1. L’entrée dans l’étude a été close en 2003, sauf en France ou elle s’est prolongée jusqu’en 2005. L’intervalle entre 2 dépistages a été généralement de 4 ans. Le seuil d’alerte retenu était un taux de PSA égal ou supérieur à 3,0 ng/mL, amenant alors à proposer au sujet dépisté une biopsie prostatique. L’allocation était masquée pour les différents investigateurs. Le critère principal de l’étude était la mortalité spécifique, principalement dans le groupe d’âge compris entre 55 et 69 ans. L’analyse principale a été effectuée en intention de traiter (dans ce cas, en intention de dépister). Une seconde analyse a été menée après correction de biais pour non participation. De par l’inclusion plus tardive dans l’essai des centres français, seule ont été pris en compte dans leur cas l’incidence et non la mortalité spécifique. Les auteurs ont également calculé le nombre de sujets incités à se faire dépister pour éviter un cancer prostatique mortel (NNI) et le nombre nécessaire pour un cas détecté (NND).
Au total 162 338 hommes entre 55 et 69 ans ont été inclus dans l’étude principale. L’âge moyen, lors de la randomisation centrale, était de 60,2 ans. A 13 ans de suivi, on dénombre 7 408 cancers de la prostate dans le groupe intervention face à 6 107 dans le groupe contrôle. Il y a eu 23 574 tests de dépistage positifs amenant à la pratique de 20 188 biopsies de prostate (soit une compliance de 85,6 %).

Confirmation à 13 ans de la baisse de la mortalité spécifique en cas de dépistage

Avec ce suivi de 13 ans, l’incidence du cancer de la prostate s’établit à 9,55/1 000 personnes-années dans le groupe intervention vs 6,23 dans le groupe contrôle. Le rapport d’incidence est, selon la durée de suivi, de 1,91 (intervalle de confiance à 95 %, IC : 1,83- 1,99) à 9 ans (France incluse), de 1,66 (IC: 1,60- 1,73) à 11 ans et de 1,57 (IC : 1,51- 1,62) après 13 ans. A ce moment, la mortalité spécifique a été calculée à 0,43/1 000 personnes- années dans le premier groupe et à 0,54/1 000 dans le second, soit un risque relatif (RR) à 0,79 (IC : 0,69-0,91 ; p = 0,001). Précédemment, à 9 ans, le RR était à 0,85 (IC : 0,70- 0,13) et à 0,78 (IC : 0,66- 0,91) après 11 ans de suivi. En valeur absolue, la réduction du risque de cancer à 13 ans induit par le dépistage est de 0,11 /1 000 personnes-années (ou 1,28 pour 1 000 hommes randomisés), correspondant à un cancer de la prostate prévenu pour 781 (IC : 490-1929) hommes amenés à se faire dépister (NNI), ou encore à un sur 27 (17-66) cancers supplémentaires détectés (NND). Après ajustement pour non participation, le RR s’établit respectivement à 0,73 après 13 ans de suivi (IC : 0,61- 0,88). A l’inverse, aucune différence significative n’a été relevée entre les 2 groupes concernant la mortalité globale, toutes causes confondues.
L’ERSPS révèle donc une diminution notable de la mortalité spécifique par cancer prostatique dans la tranche d’âge essentielle comprise entre 55 et 69 ans (ainsi que dans l’ensemble des tranches d’âges) en cas de dépistage face à une population témoin, sans différence dans la mortalité globale. Après exclusion des données des centres français en raison d’un suivi plus court, d’une moindre compliance et d’un taux élevé de contamination, la réduction observée de la mortalité spécifique a été significative pour les centres danois et hollandais ; elle ne l’a pas été pour les autres centres européens ayant participé à ERSPC. On a pu constater un effet plus net du dépistage après 13 ans de suivi comparativement à 9 ou 11 ans.

Et confirmation du risque de surdiagnostics

Il faut remarquer que, dans la tranche d’âge la plus importante, entre 55 et 69 ans, la grande majorité des cancers détectés ont été de type T1C ; que le suivi moyen a été respectivement de 6,4 ans dans le groupe intervention et de 4,3 ans dans le groupe contrôle, soit des durées relativement courtes pour démasquer les effets complets du dépistage, eu égard à l’histoire naturelle d’un cancer prostatique à un stade précoce, allant de 15 à 25 ans. Bien que, dans le groupe contrôle aient été effectués plus de traitements hormonaux et/ ou radiothérapiques, il semble peu probable que les différences de mortalité, pour des tumeurs de caractéristiques identiques, aient pu être le fait de différences de traitement entre les 2 groupes. Concernant le risque de sur diagnostics, les données de l’ERSPC confirme une augmentation de 1,57 de leur incidence dans le groupe soumis à dépistage, rejoignant ainsi celles de publications antérieures.
L’essai ERSPC a quelques limites. Une hétérogénéité considérable a été notée entre les centres ainsi qu’une contamination dans le groupe contrôle qui a pu atteindre 23 à 40 %. Le suivi a été relativement court, avec plus de 70 % des participants encore en vie lors de la publication dans le Lancet. Le rapport bénéfices/risques du dépistage reste à mieux évaluer. Enfin, les résultats de ERSPC sont à confronter à ceux du groupe prostatique de l’essai Dépistage des Cancers de la Prostate, du Poumon, et du Côlon (PLCO) qui, on doit le souligner, n’avait démontré aucun bénéfice en liaison avec le dépistage du cancer de la prostate. Dans l’avenir, il est possible que le recours à l’imagerie par résonance nucléaire permette de mieux distinguer les tumeurs prostatiques agressives des T1C de faible volume  avec un risque faible de progression.
En conclusion l'ERSPC fait apparaitre une réduction significative de 21 % de la mortalité spécifique après 13 ans de suivi en cas de dépistage avec un décès par cancer prostatique évité pour 781 sujets pressentis pour le dépistage. En dépit de ces résultats, une meilleure quantification des risques inhérents au dépistage et de leur réduction restent un pré-requis avant sa généralisation.
Dr Pierre Margent
Références
Schröder FH et coll. : Screening and Prostate Cancer mortality : results of the European Randomised Study of Screening for Prostate Cancer (ERSPC) at 13 years of follow- up. Lancet 2014, publication avancée en ligne le 7 août. doi:10.1016/S0140-6736(14)60525-0

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