10 idées fortes sur les anesthésiques locaux
(Lirk P et al. Eur J Anaesthesiol. 2014 Nov; 31(11): 575-85)
Les auteurs de cette revue ses sont intéressés à dix questions essentielles concernant les anesthésiques locaux (AL) et les exposent dans un numéro consacré à l'anesthésie loco-régionale.
1. On distingue
des dérivés amides (métabolisés par oxydation au niveau hépatique) et
les dérivés esters (métabolisés par les cholinestérases plasmatiques et
tissulaires). Les AL occasionnent peu d'allergies. Ils comprennent les
agents à courte durée d'action, la chloroprocaïne, à durée d'action
intermédiaire, la mépivacaïne et la lidocaïne, et à longue durée
d'action, la bupivacaïne et la ropivacaïne. En théorie, les
énantiomères, tels que la lévobupivacaïne, sont plus efficaces et moins
toxiques que les AL racémiques (bupivacaïne). En réalité, la différence
reste modeste à des doses équipotentes. La toxicité systémique dépend de
la fraction libre, non liée aux protéines plasmatiques. Le taux
d'absorption dépend du site d'injection avec une concentration
plasmatique identique après l'injection, par exemple, de 300 mg de
lidocaïne par voie intercostale, 500 mg par voie péridurale ou 1000 mg
par voie sous-cutanée. Les AL sont liés à l'albumine (faiblement) et à
l'alpha-1-glycoprotéine acide (forte liaison), dont la concentration est
augmentée en postopératoire et en cas de traumatisme, ce qui réduit le
pourcentage de formes libres et donc le risque de toxicité. Chez le
nouveau-né, le risque de toxicité augmente en revanche du fait de
l'immaturité de la synthèse en alpha-glycoprotéine acide.
2. Les AL sont des agents bloquant les canaux
sodiques voltage-dépendants qui comportent dix sous-unités qui peuvent
dysfonctionner ou muter, entrainant des effets délétères (douleurs) chez
les patients qui en sont atteints. Au même titre que les AL, la
péthidine ou la buprénorphine ont des propriétés anesthésiques locales
du fait d'interactions avec les canaux sodiques.
3. En théorie,
le blocage de la conduction nerveuse par les AL concerne en premier les
fibres non myélinisées, puis faiblement myélinisées et, enfin, les
fibres fortement myélinisées du fait de difficultés pour ces agents
d'atteindre l'axone. En pratique, le diamètre de la fibre ou sa
myélinisation ne sont pas les seuls responsables du délai ou de
l'importance du bloc de conduction. On distingue également les
propriétés physiopathologiques des fibres et leur composition en canaux
sodiques.
4. Les AL ont
des effets différents lorsqu'ils sont administrés ou absorbés par voie
systémique. Ils atténuent les phénomènes d'hyperalgésie, d'inflammation
et d'hypercoagulabilité, ils bloquent d'autres canaux, tels que les
canaux potassiques, calciques ou nicotiniques. Leurs effets systémiques
dépendent de leur taux plasmatique.
5. Les AL ne
sont classiquement pas ou peu actifs quand ils sont administrés dans une
zone inflammatoire. Trois hypothèses existent pour expliquer ce
phénomène. En milieu acide, la balance entre la forme ionisée et non
ionisée est déséquilibrée avec une plus faible concentration en
forme libre qui pénètre ainsi plus faiblement la membrane cellulaire.
L'inflammation induit un phénomène d'hypersensibilisation qui tend à
s'opposer au blocage nerveux. Enfin, l'augmentation de la
vascularisation des tissus inflammatoires entraîne une augmentation de
l'absorption. Il existe deux moyens d'accroitre l'efficacité des AL en
milieu inflammatoire : augmenter la concentration en AL et injecter un
agent vasoconstricteur.
6. Il existe
une toxicité systémique des AL, cardiaque et neurologique. Cette
toxicité dépend des circonstances du passage intravasculaire des agents.
En cas de volume élevé, une crise convulsive se produit, ainsi que des
troubles sévères du rythme cardiaque entrainant un arrêt
cardio-circulatoire. Si le passage est plus modéré, le patient ne peut
présenter qu'une crise convulsive isolée ou quelques signes non sévères
de toxicité en cas de surdosage avec une concentration plasmatique
élevée. Cette toxicité dépend des différents agents utilisés. Par
exemple, la ropivacaïne et la lévobupivacaïne sont inotropes négatifs et
très arythmogènes. Les recommandations quant à l'injection des AL et
l'introduction de l'échographie ont fortement réduit ces risques.
7.
L'intralipide n'est pas un antidote en cas d'intoxication, mais son
efficacité est connue pour trois raisons qui restent des hypothèses : il
se lie aux AL sous forme libre (capture) ; il interagit avec les canaux
sodiques ; il a une action sur le métabolisme mitochondrial. Il réduit
la concentration cardiaque en bupivacaïne de 11% en 3 min et la
concentration cérébrale de 18% en 15 min.
8. Les AL sont
paradoxalement neurotoxiques (exemple de la lidocaïne par voie
intrarachidienne) et myotoxiques (rarement apparent cliniquement).
9. Il existe un
effet antimétastatique des AL dont les causes sont directes et
indirectes : cet effet passe par une réduction de la croissance
tumorale, une action toxique directe en cas d'infiltration, mais aussi
une diminution de la réponse au stress et la préservation de la réponse
immunitaire.
10. Parmi les
pistes de développement des AL dans le futur, figurent la recherche de
sous-types de canaux sodiques de manière à être encore plus sélectifs,
la mise sur le marché de vieux agents, tels que la prilocaïne, avec de
nouvelles indications intéressantes, notamment en chirurgie ambulatoire,
l'analgésie multimodale périnerveuse et le développement de la
bupivacaïne liposomale qui permettrait de s'affranchir des cathéters en
postopératoire.
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