EUTHANASIE
Publié le 16/01/2014
Affaire Vincent Lambert : les juges s’opposent à la suspension de son alimentation
Paris, le jeudi 16 janvier 2014 –
Suivant l’avis de son
rapporteur, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne saisi
par une requête de référé liberté a estimé que Vincent Lambert, 37
ans, dans un état pauci-relationnel depuis cinq ans, ne pouvait
être considéré comme victime d’un acharnement thérapeutique. De ce
fait, la décision prise par le service de médecine palliative du
Chu de Reims à l’issue d’une procédure collégiale, de suspendre son
alimentation et son hydratation ne peut être appréciée comme une
application de la loi Leonetti sur l’accompagnement de la fin de
vie. Aussi, le tribunal a-t-il ordonné aux praticiens de ne pas
exécuter leur décision et de ne pas interrompre l’alimentation du
patient. Désormais, il appartient à l’hôpital et aux membres de la
famille de Vincent qui s’étaient associés à ce choix d’indiquer ou
non s’ils souhaitent porter l’affaire devant le Conseil d’Etat.
Quelles que soient les suites que connaîtra cette affaire, elle est
déjà devenue un cas emblématique des débats passionnels autour de
la prise en charge de la fin de vie en France. Retour sur les
circonstances particulières du drame de Vincent Lambert et les
enjeux éthiques en présence.
Qu’est-ce qu’une famille ?
Début 2013, les médecins qui prennent en charge Vincent au sein
de l’unité de soins palliatifs du CHU de Reims, constatant une
modification du comportement du patient face aux soins, semblant
suggérer un désir de mourir, décident à l’issue d’une procédure
collégiale d’interrompre son hydratation et son alimentation, comme
les y autorise la loi Leonetti.
Les parents de Vincent qui s’opposaient à cette décision avaient
obtenu du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne son
annulation et la reprise de l’alimentation et de l’hydratation
(après 31 jours de suspension de l’alimentation !), au motif que
l’ensemble des proches n’avait pas été correctement consulté. Alors
que les tensions familiales restaient très fortes, au mois de
septembre, l’établissement a souhaité initier une nouvelle
procédure, dont la méthode a été bien au-delà des prescriptions de
la loi Leonetti. Ainsi, une commission comptant quatre médecins
extérieurs au service (contre un prévu par la législation) a été
réunie, tandis que deux rencontres avec l’ensemble de la famille
ont eu lieu. Finalement, le 11 janvier, le docteur Eric Kariger,
rappelant que « la vie relationnelle du patient se restreignait
de plus en plus » a une nouvelle fois annoncé sa décision de
suspendre l’alimentation et l’hydratation de Vincent, afin de ne
pas poursuivre des soins pouvant relever de l’acharnement
thérapeutique déraisonnable.
Qu’est-ce que la fin de vie ?
Sans surprise, deux jours plus tard, les membres de la famille
opposés à cette issue (soit ses parents, une sœur et un demi-frère)
ont déposé une requête en référé liberté examinée hier à l’occasion
d’une audience exceptionnelle par le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne. Les neuf juges du tribunal étaient en effet
présents pour entendre les différents représentants des familles
avec pour objectif de répondre à une question cruciale : la loi
Leonetti sur l’accompagnement de la fin de vie peut-elle
s’appliquer au cas de Vincent Lambert. Dans ce cadre, les avocats
des parents de Vincent Lambert qui s’opposent à la suspension de
son alimentation ont tout d’abord fait valoir qu’il n’est pas «
en phase avancée ou terminale d’une affection grave et
incurable », situations dans lesquelles la loi Leonetti peut
s’appliquer. « Vincent est handicapé, il n'est pas atteint d'un
mal incurable, il n'est pas en fin de vie sauf si on lui retire son
alimentation et son hydratation », a ainsi remarqué Maître
Jérôme Triomphe hier devant le tribunal.
Qu’est-ce qu’un soin ?
Cette interprétation n’est cependant pas celle du
rapporteur*, qui a considéré en introduction que la loi
Leonetti pouvait s’appliquer à Vincent et que contrairement à ce
qu’affirmait la requête la procédure collégiale n’était entachée
d’aucune illégalité. Mais si le patient relève de la législation du
22 avril 2005 c’est au titre de l’interdiction de l’acharnement
thérapeutique. Les soins « ne doivent pas être poursuivis par
une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles,
disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien
artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être
entrepris », précise le texte. Sur ce point, le rapporteur a
estimé que l’on ne pouvait considérer que les soins reçus par
Vincent Lambert, et notamment l’alimentation et l’hydratation,
répondent aux critères « d’inutilité » et de « disproportion » qui
permettraient de les considérer comme « déraisonnables ». Dès lors
a-t-elle recommandé de ne pas permettre à l’établissement
d’exécuter sa décision. « Il vous revient de faire cesser le
danger qui pèse sur lui, le maintien de son alimentation devra être
ordonné », a-t-elle conclu en s’adressant aux juges qui
ont choisi de la suivre. Ne pouvant qu’être satisfait de cette
argumentation, l’avocat des parents avait renchéri en considérant
que l’alimentation et l’hydratation ne devaient pas être considérés
comme des soins médicaux et devaient donc être exclus du champ de
l’acharnement thérapeutique.
Cette interprétation va cependant à l’encontre de l’application
« courante » de la loi Leonetti ces huit dernières années
(l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation est
d’ailleurs considérée comme une méthode inhumaine par les partisans
de l’euthanasie active). D’ailleurs, le rédacteur de la loi, Jean
Leonetti lui-même avait estimé qu’a ses yeux "son" texte pouvait
s’appliquer à Vincent Lambert. Il avait précisé notamment que la
notion de « maintien artificiel de la vie » peut
s’appliquer à la « situation des états végétatifs ou
pauci-relationnels ». Les juges ont cependant préféré entendre
l’argumentation du rapporteur plutôt que celle de Jean
Leonetti.
Qu’est-ce que la conscience ?
Outre ces interrogations sur la notion de « fin de vie
» et sur la définition de l’acharnement thérapeutique, le cas
Vincent Lambert a soulevé (et soulève encore) une multitude
d’autres questions révélant les très grandes difficultés posées par
l’interprétation de la Loi Leonetti (difficultés qui existeraient
sans doute toujours avec une loi autorisant l’euthanasie qui par
hypothèse ne peut prévoir a priori tous les cas). La situation
dramatique de ce patient interroge ainsi également sur
l’appréciation de l’état de conscience des malades en état pauci
relationnel (sujet sur lequel ont été menées des études en
neurosciences aux conclusions parfois troublantes). Certains
experts et médecins du CHU se sont ainsi opposés devant le
tribunal. « Je ne peux entendre dire qu’il est inconscient. Il
a une conscience minimale plus, une vie physique et émotionnelle
mais sans capacité à communiquer de manière fiable » a ainsi
observé le docteur Jeanblanc. Le docteur Eric Kariger a répondu : «
Oui, il est neurologiquement conscient (…) mais il n’a pas de vie
relationnelle, or la vie c’est ça aussi ».
Qu’est ce que la vie ?
Ces discussions ajoutent à la longue liste des grands enjeux
éthiques en présence dans cette affaire la question de la qualité
de vie de ces malades et les échanges entendus hier ont rappelé
l’extrême difficulté de se prononcer. Ainsi, alors que l’avocat de
l’épouse de Vincent, Rachel, qui est en accord avec les médecins, a
souligné que le patient avait avant son accident fait connaître son
refus d’être laissé dans un état tel que le sien, l’avocat de la
partie adverse lui a rétorqué : « Personne ne souhaite s’il est
bien portant être dans la situation de Vincent Lambert, mais qui
peut savoir maintenant ce qu’il en pense ». De son côté, le
rapporteur a souligné « qu’il est impossible de juger du sens
de la vie ». L’interprétation de la volonté du patient est
ainsi également au cœur de ces discussions douloureuses. L’émotion
suscitée par ces débats, les larmes des uns et des autres et la
complexité du sujet n’auront cependant pas empêché certains avocats
d’exploiter la tension de ce conflit familial. Maître Triomphe aura
ainsi lancé : « La réalité, c’est que le Dr Kariger, dans cette
affaire, ne sauve pas Vincent, il sauve Rachel ».
Qu’est-ce que la justice ?
Lourde de l’ensemble de ces déclarations, l’audience a été levée
par un tribunal qui a tenu à manifester son extrême conscience de
la gravité des faits et de l’importance de sa tâche. Il a
d’ailleurs estimé qu’il lui était impossible de répondre dans les
quarante huit heures imposées par le référé liberté et a reporté sa
décision à aujourd’hui. Après en outre s’être même rapidement
interrogé sur sa compétence, le président du tribunal a indiqué que
son « appréciation » serait « uniquement juridique
sans jugement de valeur sur les personnes, leur comportement ou
leurs convictions spirituelles » (faisant ici allusion aux
convictions religieuses de Vincent supposées influencer leur
position). Il a enfin estimé que « cette ordonnance ne
fera pas jurisprudence mais initiera une jurisprudence ». Son
choix de ne pas considérer l’alimentation et l’hydratation d’un
patient en état pauci-végétatif comme un acharnement thérapeutique
déraisonnable pourrait cependant remettre en cause nombre de
décisions prises ces dernières années sous le sceau de la loi
Leonetti.
*Devant la juridiction administrative, le rapporteur est un
magistrat qui « expose publiquement, et en toute indépendance,
son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes
et sur les solutions qu'elles appellent ».
Aurélie Haroche
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