Affaire Vincent Lambert :
une ordonnance qui modifie profondément les repères de la loi Léonetti
Paris, le jeudi 30 janvier 2014 –
L’impatience commençait à prendre la couleur de l’angoisse. Bientôt quinze jours que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait rendu sa décision concernant le cas de Vincent Lambert, tétraplégique en état de conscience minimale depuis cinq ans. Quinze jours que la justice avait affirmé que l’alimentation et l’hydratation de ce patient ne pouvaient être considérés comme des traitements le maintenant artificiellement en vie et être ainsi assimilés à de l’acharnement thérapeutique. Quinze jours qu’elle avait refusé que la décision collégiale prise par l’équipe de soins palliatifs du CHU de Reims de le « laisser mourir » ne soit appliquée. La famille déchirée de Vincent Lambert vivait depuis lors une attente insupportable : un recours serait-il formé devant le Conseil d’Etat ? Des déclarations du ministre de la Santé sur ce dossier, du mutisme du CHU on comprit rapidement qu’il était souhaité que le choix final, tragique, revienne à son épouse. Face au silence de cette dernière, les proches de Vincent Lambert favorables à la décision de l’hôpital s’inquiétaient que le Conseil d’Etat ne soit finalement jamais saisi. Partout en France, les médecins exerçant dans les services de soins palliatifs partageaient la même inquiétude : pour eux la consultation des hauts magistrats s’impose en effet, tant l’ordonnance du tribunal de Châlons-en-Champagne remet totalement en question l’interprétation faite de la loi Léonetti sur la fin de vie depuis dix ans. Finalement, mardi 28 janvier, Rachel Lambert est sortie de son silence et a annoncé qu’un recours serait déposé, tandis que le 29 janvier le CHU indiquait qu’il la rejoignait dans cette action. Quelques jours avant que le Conseil d’Etat ne rende sa décision, le docteur Vincent Morel, président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs revient sur les raisons de l’extrême nécessité de cette « clarification ».
Par le Dr Vincent Morel
Président de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs
Le législateur par la loi du 22 avril 2005 sur « les droits des malades et la fin de vie », dite loi Léonetti, a assigné un cadre légal pour les décisions d'arrêt et de limitation de traitements.
S’il ne définit pas ce qu’il est juste de faire dans chacune des situations singulières vécues par les patients, les familles et les équipes de soins, il confirme certains repères (interdiction pour un médecin de donner la mort ; refus absolu de l’obstination déraisonnable) et impose aux équipes soignantes un processus identifié de délibération collective.
Lorsque le patient ne peut exprimer directement sa volonté, la décision de suspendre ou ne pas entreprendre un traitement relève de la responsabilité médicale. Le médecin doit néanmoins, avant de prendre sa décision, s’assurer de deux éléments fondamentaux : il doit vérifier que la situation du patient relève bien d'une obstination déraisonnable et rechercher également ce qu’aurait pu dire ou écrire le patient sur la situation présente.
C'est sur ces deux éléments que le tribunal de Châlons-en-Champagne apporte une analyse qui modifie profondément les repères sur lesquels pouvaient s’appuyer jusqu'à présent les médecins.
La définition d’un traitement maintenant artificiellement la vie en question
Pour qu’il y ait obstination déraisonnable il faut selon la loi
d’avril 2005 que les traitements « apparaissent inutiles,
disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien
artificiel de la vie. »
Le tribunal considère que Vincent Lambert est en « état de
conscience minimale plus, impliquant la persistance d'une
perception émotionnelle et l'existence de possibles réactions à son
environnement ». Mais alors même qu'il confirme que la
nutrition et l'hydratation artificielles par voie entérale
consistent des traitements, il considère néanmoins que dès lors que
ces traitements « peuvent avoir pour effet la conservation d’un
certain lien relationnel, ils n'ont pas pour objet de maintenir le
patient artificiellement en vie ».
Le tribunal considère ensuite que le caractère inutile ou
disproportionné n’est pas caractérisé car : « le centre
hospitalier universitaire de Reims n’a fait valoir aucune
contrainte ou souffrance qui seraient engendrées par le
traitement ». Le tribunal affirme alors que la loi Léonetti ne
peut pas s’appliquer, non pas parce que Vincent Lambert serait
handicapé ou pas en fin de vie, mais tout simplement parce que
l’obstination déraisonnable n’a pas été caractérisée.
Qu'est ce qu'une obstination déraisonnable ?
Pour le moins, on peut considérer que le tribunal établit une
jurisprudence de la définition de l'obstination déraisonnable alors
même que la loi Léonetti laissait aux médecins, après le respect de
la procédure collégiale, la possibilité d'approcher, en fonction de
chacune des situations, la définition la plus juste possible de
l'obstination déraisonnable. Si cette définition de l'obstination
déraisonnable est confirmée, elle modifiera considérablement nos
pratiques actuelles et nous incitera à poursuivre tout traitement à
partir du moment où il pourra avoir « pour effet la
conservation d’un certain lien relationnel ». Agir ainsi,
conduira à un risque croissant d’acharnement thérapeutique et ira à
l'encontre même des souhaits de nos concitoyens.
Quand la justice semble nier la possibilité de directive anticipée (en tout cas non écrite)
Dans son ordonnance, le tribunal analyse également l’expression
de la volonté de Vincent Lambert. Lorsqu'une personne n’est pas en
capacité de s'exprimer et qu'elle n'a désigné ni personne de
confiance ni écrit ces directives anticipées, la loi Léonetti
demande à l'équipe médicale de consulter la famille et/ou à défaut
les proches pour essayer d'approcher au mieux le souhait exprimé
par le patient. En l’espèce, le tribunal considère que l’épouse de
Vincent Lambert n’a pas pu apporter la preuve des dires de son mari
car son éventuelle expression n’est « pas datée avec
précision » et « émanait d’une personne valide qui n’était
pas confrontée aux conséquences immédiates de son souhait et ne se
trouvait pas dans le contexte d’une manifestation formelle d’une
volonté expresse ». La loi Léonetti nous demande de tout faire
pour approcher avec la plus grande justesse l’avis possible de la
personne malade. Par définition les avis recherchés ne peuvent
êtres qu’oraux et la loi Léonetti ne nous demande pas de les
caractériser avec précision (par exemple date et circonstances).
Autre évidence, personne ne peut vivre une situation avant qu’elle
ne survienne. Cet élément est une réserve constitutive de toute
expression anticipée de la volonté (qu’elle soit écrite ou orale).
Comme médecins nous en avons parfaitement conscience, car elle
traverse tous les échanges que nous avons avec nos patients lorsque
nous envisageons la conduite à tenir en cas d’évolution d’une
maladie. Pour autant, s’il faut bien sûr en tenir compte, cette
réserve ne saurait délégitimer la parole d’un patient. Pour les
personnes qui ne peuvent plus s’exprimer et qui n’ont pas de
personne de confiance ou écrit de directives anticipées, la
recherche d’une intime conviction est donc le cœur de la démarche
de la loi Léonetti et nous permet de prendre les décisions les plus
appropriées.
En apportant une définition juridique et non pas médicale de
l’obstination déraisonnable, en limitant la portée de l’avis
exprimé par le patient, l’ordonnance du tribunal administratif
bouleverse considérablement les repères de la loi Léonetti qui
depuis plus de 10 ans maintenant nous permet de trouver la solution
la plus humaine à des situations médicales toujours dramatiques.
C’est la raison pour laquelle il est indispensable qu’un
éclaircissement par le Conseil d’Etat soit apporté au risque de
voir resurgir l’acharnement thérapeutique pourtant clairement
refusé par nos concitoyens.
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