Le cancer, c’est pas de chance !
Développer ou non un cancer peut dépendre du hasard. Pas surprenant à première vue. Les prédispositions génétiques et les facteurs environnementaux ne permettent pas à eux seuls d’expliquer certaines variations d’incidence du cancer, au sein d’un même système, digestif par exemple, ou entre différents tissus.
Encore faut-il le prouver, et quantifier la proportion de risque représentée, ce que font deux chercheurs américains dans des travaux récents publiés dans Science. Au-delà des facteurs génétiques et environnementaux, Cristian Tomasetti et Bert Vogelstein prennent en considération un troisième facteur, les effets aléatoires du nombre de divisions des cellules souches de chaque tissu durant toute une vie.
65 % des différences de risque de cancer entre les tissus
A la base de leurs travaux, l’idée que de nombreux changements génomiques sont simplement dus au hasard plutôt qu’à des facteurs carcinogéniques. Selon elle, et le taux de mutations endogènes de tous les types de cellules humaines étant apparemment presque identique, il devrait y avoir une forte corrélation quantitative entre le nombre de divisions au cours de la vie d’une classe particulière de cellules au sein de chaque organe et le risque de cancer de cet organe. La plupart des cellules différenciées ou partiellement différenciées ayant une courte durée de vie, elles sont peu susceptibles d’initier une tumeur. Seules les cellules souches ont cette capacité.
Les auteurs identifient dans la littérature 31 types de tissus pour lesquels on dispose de paramètres quantitatifs sur les cellules souches. Ils reportent sur une figure, en axe des x le nombre total de divisions des cellules souches pendant la durée de vie moyenne et, en axe des y le risque de cancer au cours de la vie, ceci pour chaque type de tissu. Ils obtiennent une corrélation linéaire significative fortement positive entre ces 2 paramètres (coefficient de corrélation Rho de Spearman = 0,81; P < 3,5 X 10−8. Corrélation linéaire de Pearson’s = 0,804 [intervalle de confiance à 95 % -IC 95 %- 0,63 à 0,90]. P < 5,15 X 10-8).
Une caractéristique de cette corrélation est qu’elle s’applique sur 5 ordres de grandeur, à des cancers d’incidence très différente, de l’ostéosarcome pelvien aux différents types de cancer colorectal et au carcinome basocellulaire. Aucun autre facteur environnemental ou héritable n’est connu pour avoir une telle corrélation à travers les différents types de tumeur. De plus ces corrélations sont très robustes, soulignent les chercheurs.
La corrélation linéaire de 0,804 suggère que 65 % (IC95v% 39v% à 81v%) des différences de risque de cancer entre les différents tissus peuvent être expliqués par le nombre total de divisions des cellules souches dans ces tissus. Ainsi les effets stochastiques de la réplication de l'ADN contribueraient de façon majeure au cancer.
Un rôle essentiel dans tous les cancers
Pour distinguer ces effets des autres facteurs causaux, les auteurs utilisent une approche originale où ils définissent un score ERS (extra risk score), le produit du risque de cancer pendant la vie entière (en log10) par le nombre total de divisions des cellules souches (en log10). La classification des tumeurs par ce score fait apparaitre 2 groupes, 22 types de tumeurs pour lesquels l’ERS est négatif, et 9 types avec un ERS positif. Selon cette approche, si l’ERS est élevé pour un tissu, le risque de cancer est important par rapport au nombre de divisions cellulaires, et les facteurs génétiques et environnementaux doivent jouer un rôle relativement grand en regard de celui des divisions des cellules souches.
De façon importante les tumeurs avec un ERS élevé sont celles connues pour l’implication de facteurs de risque environnementaux ou héréditaires (cancer du poumon du fumeur par exemple, cancers colorectaux…) alors que l’ERS est calculé sans aucune connaissance de ces facteurs. Mais, même pour ces 9 types de tumeurs l’effet de la réplication de l’ADN est essentiel. Par exemple en cas de polypose adénomateuse familiale, les patients ont 30 fois plus de risque de cancer colorectal que de cancer duodénal et les données suggèrent que c’est en raison du nombre 150 fois plus élevé de divisions cellulaires des cellules souches dans le côlon que dans le duodénum.
Ceci n’empêche pas que le nombre total de cellules souches dans un organe et leur prolifération peuvent bien sûr être influencés par des facteurs génétiques et environnementaux.
Ces résultats ont une implication importante dans la prévention. D’après l’ERS la prévention primaire (style de vie, par exemple) pourrait avoir un impact important contre les tumeurs d’ERS élevé non héréditaires, avec un impact supplémentaire de la prévention secondaire (détection précoce) ; Laquelle aurait un rôle contre les tumeurs d’ERS élevé héréditaires. Par contre la prévention primaire n’aurait pas grande efficacité en cas de tumeurs d’ERS négatif, et la prévention secondaire devrait être le principal objectif.
En résumé, les chercheurs démontrent que les effets stochastiques de la réplication de l'ADN peuvent être estimés numériquement et distingués des facteurs de l'environnement externe avec lesquels on a l’habitude de les regrouper. D’autre part, selon leurs propres mots, « ces influences stochastiques sont en fait les principaux contributeurs à l'ensemble des cancers, souvent plus importantes que les facteurs héréditaires ou environnementaux externes ».
Ainsi les facteurs héréditaires et environnementaux externes ne compteraient que pour un tiers dans la variation du risque de cancer. Le reste serait lié à « la malchance », la malchance que se produisent des mutations au cours de la réplication de l’ADN dans des cellules souches normales…
Dominique Monnier
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