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Wednesday, January 7, 2015

Interview du Pr. Martin J. van den Bent, MD, PhD, Neuro-oncologue spécialiste de la recherche clinique et des traitements des gliomes. Centre médical de l'université Erasmus, Rotterdam – Pays-Bas



Sujet proposé et révision des textes par le Pr. Damien Ricard, Hôpital Val-de-Grâce, Paris

Interview, recherche et traduction par Jean-Luc Devirieux, journaliste, Bordeaux

Pour le site Web AnOceF : www.anocef.org

 

INTRODUCTION
Le Pr Martin J. van den Bent est neurologue depuis 1988. Après un brillant parcours comme interne et clinicien hospitalier dans différents services de neurologie, de neurophysiologie et de neurochirurgie, il devient, en 2006, professeur de neuro-oncologie à l'université Erasmus de Rotterdam aux Pays-Bas. 
La très grande qualité de son travail est récompensée dès 2004 par la Société Américaine de Neuro-Oncologie (SNO) qui lui décerne le prestigieux prix "Award for Excellence in Clinical Research". 

Le Pr. Martin J. van den Bent vient de co-signer la première étude clinique contrôlée de phase 2 ayant pour objectif de préciser la place du bevacizumab dans le traitement des glioblastomes à la récidive, étude intitulée : Single-agent bevacizumab or lomustine versus a combination of bevacizumab plus lomustine in patients with recurrent glioblastoma (BELOB trial) : a randomised controlled phase 2 trial”.
Cette étude multi-centres a mis à contribution 14 hôpitaux néerlandais pour enrôler plus de 150 patients. Divisés en 3 sous-groupes, ces patients ont reçu soit un traitement au bevacizumab, soit un traitement à la lomustine, soit un traitement concomitant de ces deux agents.

J’ai contacté le Pr. van den Bent qui a spontanément accepté cette interview pour La lettre de l’AnOceF.


Jean-Luc Devirieux (JLD)  Pr. Martin van den Bent, bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour la lettre de l'AnOceF. Toujours avec l'espoir d'encourager nos jeunes lecteurs, je vous pose cette première question : « Pr. van den Bent, comment êtes-vous passé de la médecine à la recherche ? »
Pr Martin J. van den Bent (Pr MJvdB)  Tout d'abord, merci de m'offrir cette tribune pour en parler. Dès mes débuts comme interne en neurologie, j'ai souhaité faire autre chose que simplement voir des patients. J'ai alors commencé à faire des recherches pour améliorer les traitements chirurgicaux pour les hernies cervicales. Après ma thèse de doctorat, j'ai poursuivi en neuro-oncologie. J'avais déjà acquis de l'expérience en recherche et, de fil en aiguille...

JLD  Pr. van den Bent, comment est venue cette idée d’étude ?
Pr MJvdB  Au départ, c'était une idée assez simple. Il existait déjà de nombreuses études sur le bevacizumab dans le traitement des glioblastomes en récidive mais aucune d'elles n'avait de bras de contrôle sans bevacizumab.

Nous avons, depuis plus deux ans, poursuivi notre action dans ce sens jusqu'à l'obtention de toutes les ressources humaines, matérielles et financières nécessaires à la réalisation de cette étude de phase 2. A ce jour, notre étude est la première du genre avec un bras contrôle pour le bevacizumab.

JLD  Pr van den Bent, quel était l'objectif principal de votre étude ? Quel était votre postulat ?
Pr MJvdB  Nous avons conçu cette étude randomisée de phase 2 afin de pouvoir évaluer indépendamment les résultats de trois sous-groupes de patients. Un premier sous-groupe traité au bevacizumab seulement, un deuxième traité à la lomustine seulement et le troisième recevant un traitement concomitant de ces deux agents.

Ceci étant dit, nous savons que ce type d'étude de phase 2 n'est pas suffisamment puissant par rapports au nombre de bras et de patients concernés. C'est une étape nécessaire avant la réalisation d'une étude de phase 3.

Notre postulat était de d'abord vérifier nos critères de départ – avec un critère d’évaluation de survie globale à 9 mois – avant de poursuivre nos travaux.

JLD  Pr van den Bent, voulez-vous résumer les principaux résultats de votre étude pour nos lecteurs ?
Pr MJvdB  Nous avons observé un taux de réponse plus élevé sur les IRM des patients traités avec le bevacizumab comparé à celui des patients traités avec la lomustine mais, à posteriori, ce taux de réponse plus élevé avec le bevacizumab seul ne semble pas avoir d'effets bénéfiques significatifs sur la survie des patients. Il n'y a pas eu d'amélioration de la survie globale sauf dans le cas du sous-groupe ayant reçu un traitement concomitant de bevacizumab et de lomustine.

JLD  Pr van den Bent, vous commencez à répondre à ma prochaine question. Dans l'introduction de votre étude, vous mentionnez, je cite, que «le bevacizumab est un agent largement utilisé dans le traitement des glioblastomes mais que son effet sur la survie globale est limité »". Voulez-vous commenter davantage ?
Pr MJvdB  Dans les faits, lorsque vous traitez un patient atteint de glioblastome avec du bevacizumab, les IRMs du patient s'améliorent. Cela est dû dans une large mesure à l'activité du bevacizumab qui agit positivement sur les vaisseaux sanguins en réduisant leur perméabilité.

On constate une réduction de la vascularisation dans la tumeur. Cette action sur la vascularisation tumorale semble réduire la progression tumorale et donne l'impression d'une amélioration sur les IRMs. On obtient alors une amélioration du taux de réponse mais cette amélioration apparente des IRMs des patients empêche de bien voir l'évolution de l'activité tumorale.

On constate donc une amélioration de la survie sans progression mais, malheureusement, cela ne se traduit pas par une amélioration du contrôle de la croissance tumorale.

JLD  Pr van den Bent, en quoi cette étude est-elle novatrice ? Quelles raisons ont motivé l'utilisation concomitante des ces deux agents en particulier ?
Pr MJvdB  Comme je le disais, notre étude est la première avec un bras contrôle. Par ailleurs, les essais cliniques sur le bevacizumab conduits aux Etats-Unis se sont limités à l'utilisation de ce seul agent ou en combinaison avec l'irinotécan, un autre agent utilisé dans le traitement des tumeurs colorectales.

A mon avis, cela n'avait aucun sens. Pour les tumeurs de type gliomes, il était clair pour moi que pour obtenir un bénéfice avec le bevacizumab, il fallait l'utiliser en combinaison avec un agent cytotoxique mais ayant déjà fait ses preuves contre le glioblastome. Nous avons choisi d'utiliser la lomustine parce que, à ce jour, c'est un des agents les plus efficaces dans le traitement des glioblastomes.

D'autres essais cliniques sur le bevacizumab avaient déjà été réalisés en concomitance avec un autre agent mais pas dans le cadre d'essais contrôlés de phase 2 pour les glioblastomes récurrents.

JLD  Pr van den Bent, cette étude aura-t-elle un impact clinique ?
Pr MJvdB  Non. Dans l'immédiat, cette étude ne devrait pas avoir d'impact clinique.

JLD  Pr van den Bent, je cite toujours votre étude : "nos résultats sur le sous-groupe traité avec le bevacizumab seulement ne justifie pas de poursuivre nos recherches pour ce traitement utilisé seul." Suggérez-vous que le bevacizumab ne devrait plus être considéré comme un agent de choix dans le traitement des glioblastomes récurrents ?
Pr MJvdB  Pas en tant que traitement unique pour ce type de tumeurs. Par ailleurs, nous savons que d'autres études – de larges études de phase 2 ou de phase 3 – ont démontré que des traitements au bevacizumab combinés à la radiothérapie ou au témozolomide n'ont pas amélioré la survie globale des patients.

Petit à petit, nous commençons à mieux comprendre le rôle du bevacizumab. Ce rôle est (beaucoup) plus modeste que ce que nous avions pu envisager.

JLD  Pr van den Bent, souhaitez-vous insister sur un point en particulier ?
Pr MJvdB  Je souhaite rappeler qu'il existe une autre étude, italienne, conduite par le Dr. Alba Brandes sur le bevacizumab et la fotémustine qui est un agent très similaire à la lomustine. Dans cette étude de phase 2 randomisée, elle a comparé deux sous-groupes de patients, avec un bras traité au bevacizumab seul et un deuxième traité à la fotémustine seule.

Le Dr. Brandes a obtenu des résultats très similaires aux nôtres, à savoir que le taux de réponse est plus élevé, le temps écoulé avant la progression est plus long chez les patients traités au bevacizumab mais que, dans l'ensemble, la tendance pour la survie globale (le Dr. Brandes a utilisé un critère d’évaluation de survie globale de 6 mois au lieu des 9 mois dans l'étude du Pr. Bent – NdT) est la même que dans notre étude, à savoir que la survie globale est meilleure pour les patients traités avec les deux agents que pour ceux traités avec le bevacizumab seul.

Nous avons donc les données de deux études différentes qui suggèrent que le bevacizumab seul a peu ou pas d'impact sur la survie globale des patients comparé à une thérapie classique.

JLD  Au delà de l'impact sur la survie globale, est-ce que ce traitement à un impact clinique ? Avez-vous pu démontrer si le bevacizumab utilisé seul aide les patients ?
Pr MJvdB  Nous devons poursuivre notre analyse sur la qualité de vie des patients avant de rendre nos conclusions. En l'état actuel des choses, nous avons plutôt l'impression que les patients se portent relativement bien tant et aussi longtemps qu'il n'y a pas reprise de la progression.

JLD  Quand est-il des traitements concomitants utilisant l'avastin ?
Pr MJvdB  L'utilité de ce type de thérapie concomitante avec Avastin nécessite plus de preuves mais notre essai BELOB semble démontrer certains bénéfices pour les patients.

JLD  Pr Bent, pardonnez-moi d'insister mais est-ce la fin du bevacizumab ?
Pr MJvdB  J'attends patiemment les résultats des essais cliniques en cours de l'EORTC. Ils pourront peut-être permettre d'envisager de garder une place pour le bevacizumab dans le cadre de certaines thérapies concomitantes mais, pour l'heure, je pense que nos attentes sur l'efficacité de cet agent sont réduites.

JLD  Pr van den Bent, quelle sera la prochaine étape pour vous et votre équipe ? Sur quels projets travaillez-vous ?
Pr MJvdB  Avec la phase 2 terminée, nous en sommes déjà au stade d'une étude beaucoup plus vaste, randomisée et contrôlée de phase 3, sur le bevacizumab. Nous voulons réaliser des essais cliniques basés sur d'autres critères qui ne tiendront pas compte des IRMs des patients et sans critère d’évaluation pour la survie globale.

Nous étudions aussi plusieurs nouvelles molécules plus récentes dans le cadre de thérapies ciblées sur certaines anomalies tumorales.

JLD  Pr Martin van den Bent, notre «rencontre » téléphonique est maintenant terminée. Au nom de toute l’équipe et de tous les lecteurs de la «lettre» de l’Anocef, encore merci d’avoir accepté cette interview.
Pr MJvdB  C'est moi qui vous remercie de m'avoir permis de m'adresser à vos lecteurs.

Pour aller plus loin  
Publication récente : 
“Single-agent bevacizumab or lomustine versus a combination of bevacizumab plus lomustine in patients with recurrent glioblastoma (BELOB trial) : a randomised controlled phase 2 trial”.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25035291
Lancet Oncol 2014; 15: 943–53 Published Online July 15, 2014http://dx.doi.org/10.1016/ S1470-2045(14)70314-6
Auteurs : Walter Taal, Hendrika M Oosterkamp*, Annemiek M E Walenkamp*, Hendrikus J Dubbink*, Laurens V Beerepoot, Monique C J Hanse, Jan Buter, Aafke H Honkoop, Dolf Boerman, Filip Y F de Vos, Winand N M Dinjens, Roelien H Enting, Martin J B Taphoorn, Franchette W P J van den Berkmortel, Rob L H Jansen, Dieta Brandsma, Jacoline E C Bromberg, Irene van Heuvel, René M Vernhout, Bronno van der Holt, Martin J van den Bent.

Contributions : WT, HJD, WND, MJBT, RV, BvdH, et MJvdB ont conçu l'étude et préparé le protocole.  WT, HMO, AW, HJD, LB, MH, JB, AH, DB, FYFdV, WNMD, RHE, MJBT, FWPJvdB, RLHJ, DB, IvH, RV, et MJvdB ont réuni les données.
WT, HJD, WNMD, MJBT, RV, BvdH, et MJvdB ont analysé et interprété les données.
WT, HJD, WNMD, RV, BvdH, et MJvdB ont rédigé le rapport.
Tous les auteurs ont révisé et approuvé la version finale de cette étude.

Remerciements : Cette étude a été financée par Roche Pays-Bas et par la subvention N° DDHK 2010-4678 reçue de la KWF Kankerbestrijding (Société hollandaise du cancer – NdT).

Renseignements :Pr. Martin J. van den Bent
Neuro-Oncology Unit  
Daniel den Hoed Oncology Center
Erasmus University Medical Center 
Groene Hilledijk 301   
3075 EA Rotterdam   
The Netherlands 
Téléphone :  (00) + 31-10-704-1415 
Fax : (00) + 31-10-704-1031  
Courriel : m.vandenbent@erasmusmc.nl
Sujet et révisions : Pr Damien Ricard – Hôpital Val-de-Grâce, Paris
Renseignements : damien.ricard@m4x.org
Recherche, traduction et interview : Jean-Luc Devirieux, journaliste – Bordeaux
Renseignements : jean-luc.devirieux@wanadoo.fr

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