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Saturday, September 27, 2014

Le circuit de la récompense

M. NOULHIANE,
Université Paris Descartes, UMR663 Épilepsies de l’enfant et plasticité cérébrale Hôpital Necker, Paris CEA Saclay, NeuroSpin, UNIACT
Dans cet article, nous définirons tout d’abord le circuit de la récompense à un niveau psychologique puis à un niveau neurobiologique. Nous conclurons sur le rôle fonctionnel de ce circuit, à savoir son implication plus précise dans le plaisir ou la recherche de plaisir.
Le circuit de la récompense est un circuit fonctionnel fondamental des mammifères, situé dans le cerveau, le long du faisceau médian du télencéphale. Ce circuit, indispensable à la survie, s’est mis en place au cours de l’évolution : il fournit la motivation nécessaire à la réalisation d’actions ou de comportements adaptés, assurant la préservation de l’individu et de l’espèce. Il intervient, par exemple, dans les comportements vitaux, tels que dans la recherche de nourriture, la reproduction, l’évitement des dangers, etc. Le circuit de la récompense peut se définir comme le circuit impliquant le regroupement fonctionnel de toutes les structures cérébrales qui participent à la recherche de la récompense et aux renforcements.

Niveau psychologique

Le circuit de la récompense comprend trois composantes psychologiques :
– la composante affective, correspondant au plaisir provoqué par les « récompenses » ou au déplaisir déclenché par les « punitions » ;
– la composante motivationnelle, correspondant à la motivation à obtenir la « récompense » ou à éviter la « punition » ;
– la composante cognitive, correspondant aux apprentissages généralement réalisés par conditionnement.
• La composante affective se définit comme le plaisir ou le dé plaisir provoqué par la « consommation » du renforçateur (par exemple, la consommation de la nourriture par le chien de Pavlov). Les récompenses essentielles sont les plaisirs gustatif, sexuel ou somatosensoriel, alors que les principales « punitions » sont la douleur et la peur.
• La composante motivationnelle se caractérise comme la motivation déclenchée par le renforçateur (la vue et l'odeur de la nourriture pour le chien de Pavlov). Il s’agit de la perception du renforçateur (nourriture, boisson, partenaire sexuel, etc.) par les organes sensoriels ou de la représentation mentale de ce renforçateur, qui déclenche la motivation ou le désir d'obtenir et de « consommer » la récompense ou de « fuir » la punition. Lors d’un renforçateur conditionné (un son, un objet, un lieu, etc.), le stimulus réactive une expérience déjà vécue, ce qui provoque une motivation acquise et entraîne le comportement de « consommer » ou de fuir le ren forçateur. Lors d’un renforçateur inconditionné (goût sucré, phérormone sexuelle, etc.), le stimulus active des circuits innés provoquant une motivation également innée.
• La composante cognitive correspond aux apprentissages qui permettent l'association entre le renforçateur et la réaction émotionnelle ou comportementale (par exemple, l'as-
sociation entre la salivation du chien de Pavlov et le son de la cloche).
Ces trois composantes psychologiques se distinguent les unes des autres de part leur appartenance à des systèmes cérébraux relativement différents. La motivation et le plaisir (ou le déplaisir) ressenti pour un renforçateur sont modulés par l'état de l'organisme (faim, satiété, fatigue, etc.) et par les préférences (ou les aversions) apprises. Ainsi, la nourriture est plus appétissante au début d'un repas, un aliment préféré, dont la dégustation a été suivie d'une forte indigestion, peut ensuite provoquer du dégoût. C'est le phénomène d'alliesthésie. Enfin, les renforcements ne sont pas systématiquement des phénomènes conscients. Des renforcements (récompenses ou punitions) peuvent modifier les états émotionnels et les comportements, sans que la personne en soit totalement consciente.

Niveau neurobiologique

Expérience d’autostimulation intracrânienne

Le circuit de la récompense a initialement été mis en évidence par les expériences pionnières d’autostimulation intracrânienne de J. Olds et P. Milner (1954). Dans le dispositif de l’autostimulation intracrânienne, lorsque le rat appuie sur la pédale, une zone précise du cerveau est stimulée électriquement. Ils ont mis en évidence que la fréquence des appuis sur la pédale était particulièrement élevée lorsque l'électrode de stimulation était implantée dans l'aire tegmentale ventrale (ATV) mais également dans le septum. Au début de l’expérience, le rat appuie sur la pédale par hasard mais très vite il appuie à répétition et le nombre d’appuis augmente vertigineusement. La fréquence des appuis (jusqu'à 6 000 fois/heure) est alors proportionnelle à l’intensité du courant. Le rat cesse d’appuyer dès qu’aucun courant ne stimule plus cette région cérébrale via l’électrode. Chez un rat affamé qui a le choix entre deux pédales, l’une fournissant de la nourriture et l’autre de l’électricité dans l’ATV, c’est le levier d’autostimulation dans l’ATV qui est choisi au mépris parfois de la survie de l’animal. Ces résultats, à l’époque, ont connu un retentissement très important : ils ont conduit à explorer au moyen de ce type de protocoles les différentes structures cérébrales impliquées dans la recherche et l’obtention de la récompense et ont révélé un circuit cérébral.

Le circuit cérébral de la récompense

D’un point de vue anatomique, les principales structures cérébrales du circuit de la récompense sont situées en position latérale le long du faisceau médian du télencéphale. Comme l’illustre la figure 1, les structures principales de ce circuit sont l’ATV qui reçoit des entrées sensorielles de plu sieurs régions corticales puis les transmet au noyau accumbens, au septum et au cortex pré frontal.
Figure 1. Le circuit de « récompense » cérébral (d’après J.-P. Tassin, La Recherche n°306, février 1998). Le circuit de « récompense » cérébral, tel que décrit chez l’animal. En situation « naturelle », ce circuit met en jeu des régions cérébrales interconnectées. L'entrée d'un signal annonçant une récompense, après traitement sensoriel par le cortex, modifie l'activité de certains neurones de l'aire tegmen- tale ventrale (ATV). Ceux-ci libèrent de la dopamine dans le septum, le noyau accumbens, l'amygdale et le cortex préfrontal (➞). Le noyau accumbens intervient dans l'activation motrice de l'animal. Le cortex préfrontal est impliqué dans la focalisation de l'attention. Toutes ces cibles sont interconnectées et innervent l'hypothalamus (➞), qui l'informe de la présence d'une récompense. Chaque structure cérébrale participerait ainsi, pour sa part, aux aspects moteurs, cognitifs et affectifs de la réponse.
Toutes ces zones sont interconnectées et innervent l'hypothalamus, précisément les noyaux latéral et ventromédian, et l'informent de la présence d'une récompense. L’hypothalamus agit alors en retour non seulement sur l’ATV, mais aussi sur les fonctions végétatives et endocrines de tout le corps par l'intermédiaire de l’hypophyse. Chacune de ces structures cérébrales participerait à sa façon à divers aspects de la réponse comportementale (moteur, affectif et cognitif). Le cœur de ce circuit est ainsi constitué par les connexions reliant les neurones dopaminergiques de l’ATV aux neurones du noyau accumbens : les neurones de l’ATV libèrent la dopamine, neurotransmetteur clé du circuit, via leurs projections vers le noyau accumbens. La plupart des drogues psychotropes agissent au niveau de ces connexions et produisent éventuellement une dépendance. Les drogues créant une dépendance agissent directement sur le circuit de la récompense, qui induit le renforcement positif d’un com portement. On peut alors arriver à cette situation paradoxale où un comportement néfaste pour l’organisme est renforcé. En quelque sorte, les substances psychoactives court-circuitent le système et stimulent son activité avec une force supérieure à celle de n’importe quelle substance naturelle. Toutes les drogues psychoactives augmentent l’action de la dopa mine dans le noyau accumbens en prolongeant la durée d’action de la dopamine ou en augmentant sa con centration. Ces substances psychoactives génèrent, de fait, un renforcement positif qui incite à répéter l’expérience ressentie comme plaisante, susceptible de mener plus ou moins rapidement à une dépendance. Plus précisément, l’augmentation de l’action de la dopamine au niveau des neurones, du noyau accumbens résulte soit d’une augmentation de la libération de la dopamine par l’ATV (par exemple, l’héroïne comme la nicotine induisent cet effet), soit en prolongeant l’action de la dopamine au niveau de ses récepteurs situés sur les neurones du noyau accumbens (par exemple, c'est le cas de la cocaïne).

Dopamine et récompense : recherche et obtention

De façon intéressante, la libération de dopamine peut être obtenue par la seule présence d’une récompense, même si elle est inaccessible. Les expériences de W. Schultz et coll. (2007) d’enregistrements in vivo unicellulaires chez le singe ont montré que la vue d’un morceau de pomme stimule les neurones de l’ATV qui libèrent de la dopamine. Ce phénomène s’accompagne d’un changement dans le comportement de l’animal qui met en place un mouvement destiné à at teindre la récompense. Par apprentissage, les neurones dopaminergique de l’ATV sont devenus plus sensibles à la signification d’une récompense qu’au signal lui-même. Selon Jean-Pol Tassin, l’homme pourrait ainsi constituer, au fil des ans, une chaîne de signifiants fédérant les neurones dopaminergiques (J.-P. Tassin, 2007).

Conclusion

Les neurones dopaminergiques sont initialement stimulés par les caractéristiques primaires de la récompense (son odeur, sa forme, sa texture). Ces divers traits sont progressivement associés à certains signaux de l’environnement. Après l’apprentissage, la seule présence de ces signaux active la libération de dopamine qui, en retour, permet de déclencher un comportement efficace à l’obtention de la récompense convoitée.

Pour en savoir plus

• Olds J, Milner, PM. J Comp Physiol Psychol 1954 ; 47 : 419.
• Schultz W, Dayan P, Montague PR. Science 1997 ; 275 : 1593.
• Tassin JP. La Recherche, n°306, février 1998.
• Tassin JP. L’information psychiatrique 2007 ; 83(2).

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