Dépistage du cancer de la prostate : 13 ans de recul
L’Etude Européenne Randomisée du Dépistage du Cancer de la
Prostate (ERSPC) a démontré la preuve de l’utilité d’un tel
dépistage, avec une réduction significative de la mortalité
spécifique à 9 puis 11 ans. Malgré ces résultats notables, le
dépistage du cancer prostatique reste, de nos jours, controversé,
du fait du nombre considérable de sur diagnostics induits, et donc
de risque accru de traitements par excès et de iatrogénie.
Dans une livraison récente du Lancet, FH Schröder et
collaborateurs rapportent les résultats actualisés de l’ERSPC
jusqu’en 2010, soit après un suivi de 9, 11 et 13 ans. L’ERSPC est,
on le rappelle, un essai multicentrique, randomisé, sur le
dépistage du cancer de la prostate par dosage de l’antigène
prostatique spécifique (PSA), dont le but était de comparer la
mortalité spécifique à distance dans un groupe intervention, pour
lequel un dépistage était proposé vs un groupe contrôle. L’étude a
débuté en 1993 aux Pays Bas et en Belgique avant d'être étendue à 5
autres pays européens, puis, enfin, à 2 centres français en 2000 et
2003. Les participants étaient des hommes âgés de 50 à 74 ans, pour
l’essentiel entre 55 et 69 ans, recrutés à partir des registres de
population, puis randomisés de façon centralisée avec une
allocation de type 1:1. L’entrée dans l’étude a été close en 2003,
sauf en France ou elle s’est prolongée jusqu’en 2005. L’intervalle
entre 2 dépistages a été généralement de 4 ans. Le seuil d’alerte
retenu était un taux de PSA égal ou supérieur à 3,0 ng/mL, amenant
alors à proposer au sujet dépisté une biopsie prostatique.
L’allocation était masquée pour les différents investigateurs. Le
critère principal de l’étude était la mortalité spécifique,
principalement dans le groupe d’âge compris entre 55 et 69 ans.
L’analyse principale a été effectuée en intention de traiter (dans
ce cas, en intention de dépister). Une seconde analyse a été menée
après correction de biais pour non participation. De par
l’inclusion plus tardive dans l’essai des centres français, seule
ont été pris en compte dans leur cas l’incidence et non la
mortalité spécifique. Les auteurs ont également calculé le nombre
de sujets incités à se faire dépister pour éviter un cancer
prostatique mortel (NNI) et le nombre nécessaire pour un cas
détecté (NND).
Au total 162 338 hommes entre 55 et 69 ans ont été inclus dans
l’étude principale. L’âge moyen, lors de la randomisation centrale,
était de 60,2 ans. A 13 ans de suivi, on dénombre 7 408 cancers de
la prostate dans le groupe intervention face à 6 107 dans le groupe
contrôle. Il y a eu 23 574 tests de dépistage positifs amenant à la
pratique de 20 188 biopsies de prostate (soit une compliance de
85,6 %).
Confirmation à 13 ans de la baisse de la mortalité spécifique en cas de dépistage
Avec ce suivi de 13 ans, l’incidence du cancer de la prostate
s’établit à 9,55/1 000 personnes-années dans le groupe intervention
vs 6,23 dans le groupe contrôle. Le rapport d’incidence est, selon
la durée de suivi, de 1,91 (intervalle de confiance à 95 %, IC :
1,83- 1,99) à 9 ans (France incluse), de 1,66 (IC: 1,60- 1,73) à 11
ans et de 1,57 (IC : 1,51- 1,62) après 13 ans. A ce moment, la
mortalité spécifique a été calculée à 0,43/1 000 personnes- années
dans le premier groupe et à 0,54/1 000 dans le second, soit un
risque relatif (RR) à 0,79 (IC : 0,69-0,91 ; p = 0,001).
Précédemment, à 9 ans, le RR était à 0,85 (IC : 0,70- 0,13) et à
0,78 (IC : 0,66- 0,91) après 11 ans de suivi. En valeur absolue, la
réduction du risque de cancer à 13 ans induit par le dépistage est
de 0,11 /1 000 personnes-années (ou 1,28 pour 1 000 hommes
randomisés), correspondant à un cancer de la prostate prévenu pour
781 (IC : 490-1929) hommes amenés à se faire dépister (NNI), ou
encore à un sur 27 (17-66) cancers supplémentaires détectés (NND).
Après ajustement pour non participation, le RR s’établit
respectivement à 0,73 après 13 ans de suivi (IC : 0,61- 0,88). A
l’inverse, aucune différence significative n’a été relevée entre
les 2 groupes concernant la mortalité globale, toutes causes
confondues.
L’ERSPS révèle donc une diminution notable de la mortalité
spécifique par cancer prostatique dans la tranche d’âge essentielle
comprise entre 55 et 69 ans (ainsi que dans l’ensemble des tranches
d’âges) en cas de dépistage face à une population témoin, sans
différence dans la mortalité globale. Après exclusion des données
des centres français en raison d’un suivi plus court, d’une moindre
compliance et d’un taux élevé de contamination, la réduction
observée de la mortalité spécifique a été significative pour les
centres danois et hollandais ; elle ne l’a pas été pour les autres
centres européens ayant participé à ERSPC. On a pu constater un
effet plus net du dépistage après 13 ans de suivi comparativement à
9 ou 11 ans.
Et confirmation du risque de surdiagnostics
Il faut remarquer que, dans la tranche d’âge la plus importante,
entre 55 et 69 ans, la grande majorité des cancers détectés ont été
de type T1C ; que le suivi moyen a été respectivement de 6,4 ans
dans le groupe intervention et de 4,3 ans dans le groupe contrôle,
soit des durées relativement courtes pour démasquer les effets
complets du dépistage, eu égard à l’histoire naturelle d’un cancer
prostatique à un stade précoce, allant de 15 à 25 ans. Bien que,
dans le groupe contrôle aient été effectués plus de traitements
hormonaux et/ ou radiothérapiques, il semble peu probable que les
différences de mortalité, pour des tumeurs de caractéristiques
identiques, aient pu être le fait de différences de traitement
entre les 2 groupes. Concernant le risque de sur diagnostics, les
données de l’ERSPC confirme une augmentation de 1,57 de leur
incidence dans le groupe soumis à dépistage, rejoignant ainsi
celles de publications antérieures.
L’essai ERSPC a quelques limites. Une hétérogénéité considérable
a été notée entre les centres ainsi qu’une contamination dans le
groupe contrôle qui a pu atteindre 23 à 40 %. Le suivi a été
relativement court, avec plus de 70 % des participants encore en
vie lors de la publication dans le Lancet. Le rapport
bénéfices/risques du dépistage reste à mieux évaluer. Enfin, les
résultats de ERSPC sont à confronter à ceux du groupe prostatique
de l’essai Dépistage des Cancers de la Prostate, du Poumon, et du
Côlon (PLCO) qui, on doit le souligner, n’avait démontré aucun
bénéfice en liaison avec le dépistage du cancer de la prostate.
Dans l’avenir, il est possible que le recours à l’imagerie par
résonance nucléaire permette de mieux distinguer les tumeurs
prostatiques agressives des T1C de faible volume avec un
risque faible de progression.
En conclusion l'ERSPC fait apparaitre une réduction
significative de 21 % de la mortalité spécifique après 13 ans de
suivi en cas de dépistage avec un décès par cancer prostatique
évité pour 781 sujets pressentis pour le dépistage. En dépit de ces
résultats, une meilleure quantification des risques inhérents au
dépistage et de leur réduction restent un pré-requis avant sa
généralisation.
Dr Pierre Margent
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