Quand survient l’erreur…
D. DAVOUS*, F. BOURDEAUT**
*Espace éthique Assistance Publique-Hôpitaux de Paris
**Oncologie pédiatrique, Institut Curie, Paris
Illustration : Que reste-t-il de nos erreurs ? Film documentaire de formation pour les professionnels de santé.
*Espace éthique Assistance Publique-Hôpitaux de Paris
**Oncologie pédiatrique, Institut Curie, Paris
Illustration : Que reste-t-il de nos erreurs ? Film documentaire de formation pour les professionnels de santé.
Le soin apporté à des enfants atteints de maladies graves
et durables expose, de par la complexité des traitements, à un
risque accru d’erreurs au cours d’un soin. Dans un film de
formation pour les professionnels de santé médicaux et non
médicaux, soignés et soignants témoignent pour briser le tabou du
silence et interroger les pratiques(1).
Dramatiquement mises en scène par les médias, les erreurs
médicales placent périodiquement sous les projecteurs les
dysfonctionnements des services hospitaliers, en interrogeant la
compétence et la responsabilité pénale des soignants, ainsi que la
fiabilité des établissements de santé. Actuellement en France, près
de 150 000 « événements médicaux indésirables évitables »
– essentiellement médicamenteux – sont recensés chaque année dans
les établissements de santé (2). Si une minorité d’entre eux peut
résulter de négligences inexcusables ou d’incompétences avérées,
beaucoup relèvent simplement du facteur humain, avec au premier
rang la faillibilité des soignants et l’organisation systémique des
hôpitaux (3). Que faire, que dire, lorsque survient une erreur au
cours d’un soin ajoutant au malheur engendré par la maladie ? Les
pistes de réflexion proposées ici sont le fruit du travail d’un
groupe fondé en 1997 au sein de l’Espace éthique de l’AP-HP :
Parents et soignants face à l’éthique en pédiatrie. Ces travaux qui
relèvent d’une coconstruction entre soigants et soignés a donné
lieu à plusieurs publications (3-5) et a conduit en 2012 à un film
documentaire de formation à l’intention des professionnels de
santé, médicaux et non médicaux : Que reste-t-il de nos erreurs ?
(a). Ce film réalisé par Nils Tavernier et Gil Rabier présente les
histoires d’un enfant (Raphaël) et de deux adolescents (Nicolas et
Capucine) qui, dans un contexte de maladie grave et durable, sont
confrontés, dans leur parcours de soin à des erreurs de gravité
différente, aux conséquences différentes en termes de dommages pour
l’enfant ou de mise à mal de la confiance avec les familles. Les
nombreux témoignages recueillis tant auprès de parents que de
soignants indiquent que les conséquences médicales seules ne
déterminent pas le vécu de l’erreur pour les familles : ce qui
laisse des traces n’est pas nécessairement ce qui a été le plus
grave, même si bien sûr, ce qui a été grave marque toujours. Ce
travail qui se situe dans le contexte de la pédiatrie et de la
maladie grave de l’enfant hospitalisé, peut aisément être transposé
aux adultes et peut également, nous semble-t-il, nourrir la
réflexion tant pour les pédiatres libéraux que les médecins
généralistes.
Les circonstances de l’erreur
• L’erreur est avant tout une succession de failles. « C’est
rarement un individu ; une procédure médicale, c’est une
chaîne » (le médecin référent de Raphaël)(b).
• Des situations médicales particulièrement délicates :
réanimation, multi-morbidité, pathologies graves et complexes,
situations de fin de vie… comportent en elles-mêmes un risque élevé
d’erreurs dues à la complexité des soins, la dangerosité des
produits dans un contexte de plus grande vulnérabilité des
patients. « Plus les choses sont complexes, plus le risque
qu’une erreur s’insinue dans le processus est grand et donc, c’est
une préoccupation permanente, sachant que le risque d’erreur
médicale peut avoir des conséquences dramatiques. » (le chef
du service dans lequel était soigné Capucine)
• Le climat de travail et la qualité de la relation initiale
sont déterminants dans la survenue d’une erreur. « L’un des
points clefs, que l’on retient en tant que parents, c’est qu’il
faut absolument qu’une confiance très forte s’établisse dès le
début entre tout ce monde-là pour que cela fonctionne et pour que
l’on monopolise notre énergie dans le même sens. » (le père de
Nicolas) Que les soignants n’accordent pas toujours le crédit
requis aux propos des patients, des parents laissant échapper sans
réagir de réels signes d’alarmes, peut permettre à l’erreur de
survenir. « Mais quelque part, je m’en veux un peu parce
qu’entre les deux doses, la maman m’a dit : “il y a quelque chose
qui ne va pas”. » (le médecin référent de Capucine) « J’ai
donné plusieurs fois des signes qu’il vomissait, qu’il ne mangeait
pas. On ne m’a pas forcément écoutée… jusqu’au jour où, un mois
après, il est tombé dans une sorte de “coma” ; il a été en
réanimation. Je ne me suis pas sentie écoutée et personne ne nous a
dit posément les choses. » (la mère de Raphaël) À l’inverse
des parents très « contrôlants » risquent de créer un climat de
tension, potentiellement source d’erreur. « C’était des parents
qui voulaient vraiment être très acteurs dans les soins de leur
enfant, qui étaient très exigeants au niveau des informations et
qui ensuite (après l’erreur) ont été très exigeants par rapport aux
soins qui étaient réalisés pour leur enfant… C’était une façon pour
eux de reprendre du contrôle sur la vie de leur enfant et sur ce
qui était en train de se passer : en contrôlant tout ce
qui était fait comme soins, toutes les perfusions qui étaient
appliquées pour leur enfant. Et ça, c’est parfois vécu
difficilement par une équipe parce que c’est vécu comme du contrôle
négatif et pas comme une façon d’être acteur autour de la maladie
de leur enfant. » (le médecin référent de Raphaël) (b).
Reconnaître l’erreur : une nécessité
Reconnaître une erreur est une nécessité qui demande du
discernement pour en parler et une volonté pour accompagner les
soignants concernés et les familles. « Cacher les choses est
d’abord une certaine forme de malhonnêteté intellectuelle,
malhonnêteté éthique, dont les conséquences peuvent être, in fine,
en tout état de cause, bien plus désastreuses. » (le chef du
service dans lequel était soignée Capucine).
« Il est vrai que j’aurais dû probablement et de façon très
simple dire : “c’est une erreur médicale” et après donner toutes
les explications. » (le médecin greffeur référent de Raphaël).
À en croire les familles interrogées, la reconnaissance de l’erreur
et le soin apporté à cette reconnaissance atténuent ou amplifient
la violence de l’événement. La formulation d’excuses à titre
personnel et institutionnel sont une condition essentielle pour
traverser l’erreur ensemble, pourvu aussi que les mesures destinées
à éviter qu’elle ne se reproduise soient prises et annoncées aux
parents. Pour les soignants, l’enjeu est de renouveler en leur for
intérieur leur capacité à poursuivre sereinement leur métier. La
rencontre « face-à-face » décidée et portée en équipe avec l’enfant
et/ou les parents est cruciale pour la reconstruction d’une
confiance en soi et entre soi. Et pour les enfants et leur famille,
elle permettra de poursuivre l’écriture de leur histoire
personnelle et familiale dans ce douloureux contexte. « Cette
erreur est une responsabilité collective. Collectivement, on va
chercher quelque chose pour sortir ensemble de l’erreur. C’est une
responsabilité collective que d’informer les parents. On va voir
les parents ensemble y compris le soignant qui serait directement
impliqué dans l’erreur. C’est le collectif qui permet de sortir
d’un sentiment individuel. » (le médecin référent de Raphaël).
Face à ces questions –
Comment en parler ?
Que dire ? Qui doit parler ? À qui ? Quand ? Comment ? –, seul
un questionnement éthique permanent et en équipe permet de prendre
des décisions avec discernement. L’enjeu réside dans la recherche
d’une démarche la plus respectueuse possible des inquiétudes, voire
des souffrances, que l’erreur suscite que l’on soit soignant ou
soigné, ce qui implique d’accompagner les parents et les soignants
concernés. « Je ne me suis pas sentie jugée et c’était aidant
de ne pas se sentir jugée parce que je ne sais pas si j’aurais pu
continuer ma carrière d’infirmière si, en plus, j’avais eu des
critiques de la part de mes supérieurs, de la part du médecin.
Sincèrement, je ne sais pas. » (Elise, infirmière référente de
Raphaël).
Faire des erreurs : un patrimoine commun aux soignants et à l’établissement
On pourrait considérer que « ce qui se passe mal »
devienne la pierre fondatrice de changements, contribuant ainsi à
instaurer une culture des événements indésirables : inciter à
l’analyse de toutes les failles qui ont conduit à l’erreur et à la
mise en place de dispositifs de prévention pour les traquer
(analyse des événements précurseurs d’erreurs dans des cellules de
retour d’expérience [CREX], revues de morbi-mortalité [RMM]). Ce
que les cadres et institutions feront des déclarations plus
systématisées des événements indésirables et des erreurs est alors
de leur pleine responsabilité, pour installer un climat propice à
l’analyse de ces incidents et ainsi favoriser une plus grande
sécurité des soignés (6). Transformer les erreurs en objet de
travail, c’est leur donner leur dimension d’expérience personnelle
et constitutive du métier de soignant, autant que de responsabilité
collective.
a. Le film peut être utilisé en formation initiale ou continue. Les formats (durée des formations) peuvent être variés, le film pouvant être vu dans sa continuité (42 min) ou par séquences : introduction sur ce que représente l’erreur pour les personnages du film (5 min) ; l’histoire de Nicolas (7 min) ; l’histoire de Raphaël (16 min) ; l’histoire de Capucine (15 min).
b. Les témoignages illustrant cet article se réfèrent aux trois
histoires présentées dans le film.
Références
1. Que reste-t-il de nos erreurs ? Un film de Nils Tavernier, 42
min, 15 € + frais d’envoi ; pour commander : erreurlefilm@gmail.com.
2. www.drees.sante.gouv.fr/l-enquetenationale-sur-les-evenements-indesirableslies-aux-soins-eneis,6507.html/
3. Bourdeaut F. Patients et soignants à l’épreuve de l’erreur médicale. Revue trimestrielle du Centre Laennec 2012 ; 3 : 24- 38. www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=LAE_123_0024/
4. Davous D et al. L’alliance parents-enfantsoignants à l’épreuve de l’erreur médicale. Archives de pédiatrie 2010 ; 17(12) : 1696- 708.
5. Traverser ensemble l’erreur. Le Quotidien du médecin 17 nov. 2011, n°9043. 6. Reason J. Understanding adverse events: human factors. Quality in Health Care 1995 ; 4 : 80-9.
2. www.drees.sante.gouv.fr/l-enquetenationale-sur-les-evenements-indesirableslies-aux-soins-eneis,6507.html/
3. Bourdeaut F. Patients et soignants à l’épreuve de l’erreur médicale. Revue trimestrielle du Centre Laennec 2012 ; 3 : 24- 38. www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=LAE_123_0024/
4. Davous D et al. L’alliance parents-enfantsoignants à l’épreuve de l’erreur médicale. Archives de pédiatrie 2010 ; 17(12) : 1696- 708.
5. Traverser ensemble l’erreur. Le Quotidien du médecin 17 nov. 2011, n°9043. 6. Reason J. Understanding adverse events: human factors. Quality in Health Care 1995 ; 4 : 80-9.
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