UNITE DES SOINS PALLIATIFS
Zahle et Bekaa. LIBAN
PALLIATIVE CARE UNIT
Zahle and Bekaa. LEBANON
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Thursday, December 4, 2014
La génétique à haut débit dans la prise en charge des cancers
C. LE TOURNEAU,
Institut Curie, Paris, Institut Curie, Saint-Cloud, Unité
INSERM/Institut Curie U900, Paris
Les outils d’analyses génétiques à haut débit n’étaient
auparavant utilisés que dans le domaine de la recherche. Du fait de
la diminution drastique de leur coût et de la rapidité des
analyses, ces outils sont désormais utilisables en pratique
clinique. Ceci est d’autant plus pertinent que des données
précliniques et cliniques suggèrent qu’à l’avenir, le traite- ment
du cancer devra sûrement être basé, non plus sur la localisation
tumorale et l’histologie, mais sur la biologie de la cellule
tumorale. Bien qu’il y ait beaucoup d’espoir dans ce nouveau
concept classiquement dénommé médecine personnalisée, l’utilisation
de ces outils d’analyses génétiques à haut débit est associée à de
nombreux défis. Enfin, il reste à démontrer de façon formelle que
l’utilisation de ces outils permet d’améliorer le pronostic des
patients atteints de cancer.
Depuis quelques années, les outils de génétique à haut débit
permettent de déterminer l’ensemble de la séquence d’ADN d’une
cellule. Ces outils ont été initialement utilisés exclusivement
dans les unités de recherche. Du fait de la décroissance rapide des
coûts et de l’amélioration technologique, les outils de génétique à
haut débit ont investi le champ de la médecine. Le cancer étant
considéré comme une maladie génétique, dans le sens où une cellule
saine devient cancéreuse suite à une succession d’altérations du
génome, la cancérologie a été l’une des premières disciplines à
utiliser ces outils en clinique. L’utilisation de ces outils rend
envisageable les stratégies de médecine personnalisée dont le
principe est d’utiliser les données biologiques du patient afin de
mieux prévenir, diagnostiquer et traiter. Nous abordons ici les
différents outils de génétique à haut débit. Viennent ensuite le
concept de médecine personnalisée et les différents essais de
médecine personnalisée qui sont en cours. Enfin, les défis associés
à l’utilisation des outils de génétique à haut débit dans les
essais de médecine personnalisée sont abordés.
Les outils de génétique à haut débit
Les outils de génétique à haut débit permettent d’analyser de
multiples altérations en une seule fois.
Avant de présenter ces différents outils, revenons sur les
outils utilisés pour détecter une seule altération moléculaire. Les
altérations moléculaires peuvent être analysées à toutes les étapes
de l’ADN (analyses génomiques), de l’ARN (analyses
transcriptomiques) et de la protéine (analyses protéomiques)
(tableau). La méthode de référence pour la recherche de mutations
et de translocations de l’ADN est la méthode qui a été développée
par Sanger.
Essai de médecine personnalisée SHIVA
Le séquençage à haut débit permet de détecter de multiples
anomalies en une seule fois. La méthode de référence pour la
recherche d’altérations du nombre de copies de gènes, que ce soit
des amplifications ou des délétions, est la FISH. La CGH
(Comparative genomic hybridization)permet une étude pangénomique.
Ces techniques sont très largement utilisées aujourd’hui. Il faut
bien distinguer la génétique somatique, qui est l’étude de l’ADN
tumoral, et la génétique constitutionnelle, qui est l’étude de
l’ADN constitutionnel (ex. : étude des gènes de prédisposition au
cancer du sein BRCA). L’étude de l’ARN est, en revanche, moins
fréquente en clinique. La méthode de référence pour l’analyse d’une
variation de séquence d’ARN est la méthode de Sanger, tandis que le
séquençage permet l’analyse de multiples variations. L’expression
d’un transcrit est évaluée grâce à la RT-PCR, alors que les puces
d’expression permettent l’analyse de multiples transcrits. Enfin,
l’étude du niveau d’expression d’une protéine est réalisée grâce à
l’immunohistochimie. La reverse phase protein array(RPPA) permet
d’évaluer en une seule fois le niveau d’expression de plusieurs
protéines. L’immunohistochimie est une technique de référence
couramment utilisée en clinique, tandis que la RPPA est plutôt
utilisée dans le domaine de la recherche.
Concept de médecine personnalisée
L’arsenal thérapeutique en cancérologie comporte les traitements
locorégionaux (chirurgie et techniques d’irradiation) et les
traitements systémiques. Ces derniers comprennent les agents de
chimiothérapie cytotoxique et, depuis la fin des années 1990, les
thérapies ciblées. À la différence des premiers qui détruisent les
cellules en division (et donc surtout les cellules tumorales) en
ciblant la machine de division cellulaire, les thérapies ciblées
ciblent une (ou plusieurs) altération(s) moléculaire(s) censées
être cruciales pour la prolifération, l’angiogenèse, etc.
L’hormonothérapie utilisée dans les cancers du sein fait en réalité
partie de cette classe thérapeutique, puisque efficace seulement
lorsque la cible (les récepteurs hormonaux) est exprimée. Depuis le
trastuzumab qui a été approuvé dans le traitement du cancer du sein
HER2+ (qui représente environ 20 % des cancers du sein) en 1998,
une quarantaine de thérapies ciblées ont été commercialisées. Les thérapies ciblées ont suivi le même
développement clinique que les agents de chimiothérapie
cytotoxique, c’est-à-dire par organe et type histologique. Ceci
est lié au fait que certaines altérations moléculaires ont
initialement été rapportées dans certains types de cancer. Le
séquençage complet de nombreux types de cancers a montré qu’en
réalité, de nombreuses altérations moléculaires étaient communes à
différents types de cancer(1). Plus tard, des altérations de HER2
ont ainsi été rapportées dans les cancers de l’estomac, puis dans
les cancers bronchiques. Il a été démontré que cibler HER2 dans le
cancer de l’estomac est efficace, et des résultats prometteurs ont
été rapportés dans le cancer bronchique. Tous ces éléments font que se pose
aujourd’hui une question fondamentale qui constituerait un
changement de paradigme si la réponse était affirmative : faut-il
sortir du dogme de l’organe pour le traitement du cancer et traiter
le cancer uniquement sur la base de la biologie ? C’est ce que
l’on entend classiquement par le concept de médecine
personnalisée. Deux études suggèrent que guider le
traitement du cancer en fonction du profil moléculaire de la tumeur
et ce, indépendamment du type de cancer, pourrait améliorer le
pronostic des patients, du moins en situation de récidive après
échec des traitements standard. Dans la première étude, un
profil moléculaire a été réalisé et le traitement décidé en
fonction (2). Les auteurs ont montré que dans presqu’un tiers des
cas, les patients répondaient durant au moins 30 % de temps de plus
sous le traitement déterminé par le profil moléculaire que sous le
dernier traitement reçu par le patient. La seconde étude
s’adressait à des patients qui devaient être inclus dans un essai
de phase I (évaluation pour la première fois chez l’homme d’un
nouveau médicament ou d’une nouvelle association)(3). Les auteurs
ont rapporté que les patients qui étaient inclus dans un essai de
phase I avec un médicament correspondant à une altération
moléculaire détectée sur leur tumeur, non seulement répondaient
mieux au traitement, mais vivaient plus longtemps que ceux qui
étaient inclus dans un essai de phase I sans cette correspondance.
Ces deux études n’étant pas randomisées, elles n’ont pu que générer
l’hypothèse que réaliser le profil moléculaire de la tumeur des
patients afin de choisir le traitement pourrait améliorer leur
pronostic.
Les essais de médecine personnalisée
Plusieurs essais, dits de médecine personnalisée utilisant les
outils de génétique à haut débit, ont été initiés afin de démontrer
l’hypothèse de la médecine personnalisée. Ces essais sont
radicalement différents des essais traditionnels, car ils
n’évaluent pas l’efficacité d’un médicament dans un groupe de
patients ayant tous un même type de cancer et éventuellement
porteurs d’une même altération moléculaire. Ils évaluent en réalité
l’algorithme de traitement utilisé pour décider du traitement. L’essai SHIVA est le premier essai
randomisé qui compare l’efficacité d’une thérapie ciblée prescrite
sur la base d’une altération moléculaire identifiée sur le profil
moléculaire de la tumeur à celle d’une chimiothérapie
conventionnelle chez des patients ayant n’importe quel type de
cancer réfractaire aux traitements standard (figure)(4). Le
profil moléculaire comprend l’analyse de mutations, amplifications
et délétions de l’ADN ainsi que l’expression des récepteurs aux
estrogènes, à la progestérone et aux androgènes. Il est prévu de
randomiser 200 patients. Cet essai promu par l’Institut Curie et
ouvert dans 7 autres centres français a démarré en octobre 2012 et
devrait se terminer durant l’année 2014. D’autres essais ont emboîté le pas à
l’essai SHIVA et abordent la question de la médecine personnalisée
sous des angles différents. L’essai WINTHER, ouvert en juin 2013 dans
quelques centres dans le monde, reprend le même principe que
l’étude de von Hoff en prenant chaque patient comme son propre
témoin pour évaluer l’efficacité. Le profil moléculaire réalisé
est similaire à celui de SHIVA, à l’exclusion des récepteurs
hormonaux. Pour les patients n’ayant pas d’altération au niveau de
l’ADN, une analyse de l’ARN tumoral et de l’ADN du tissu sain est
utilisée pour guider le traitement. Aux États-Unis, le NCI prévoit
de lancer très prochainement l’essai MPACT qui s’adresse à la même
population de patients que l’essai SHIVA. À la différence de SHIVA,
cet essai randomisé compare l’efficacité d’une thérapie ciblée
basée sur le profil moléculaire de la tumeur à celle de toute
thérapie ciblée sauf celle qui correspond à l’altération
moléculaire détectée. Cet essai permet de n’évaluer que
l’algorithme de traitement. L’essai MOST promu par le Centre
Léon-Bérard à Lyon vient de démarrer et consiste à prescrire la
thérapie ciblée correspondant à l’anomalie moléculaire détectée à
tous les patients dans un premier temps. Le profil moléculaire est
similaire à celui de SHIVA. Au bout de 3 mois de traitement, les
patients progressant sont sortis d’étude tandis que ceux qui
répondent selon les critères RECIST continuent. Les patients
stables selon ces mêmes critères sont randomisés entre la poursuite
et l’arrêt du traitement. Les patients qui arrêtent le traitement
ont la possibilité de le reprendre 3 mois plus tard s’ils
progressent. Cet essai permet de distinguer les patients qui sont
stabilisés du fait du traitement, de ceux qui le sont du fait de
l’histoire naturelle de la maladie. Enfin, les essais SAFIR02
promus par Unicancer évaluent de façon randomisée l’efficacité
d’une thérapie ciblée de maintenance, prescrite sur la base du
profil moléculaire de la tumeur, chez des patients ayant un cancer
du poumon d’un côté et un cancer du sein de l’autre en situation
métastatique après une ou deux lignes de chimiothérapie
première(5). Le bras expérimental est comparé au traitement de
maintenance réalisé classiquement dans ces situations. Ces essais
doivent démarrer très prochainement.
Les défis liés aux essais de médecine personnalisée
Les essais de médecine personnalisée qui utilisent les analyses
génétiques à haut débit sont associés à de multiples
défis. Logistiques : il est bien souvent nécessaire de
réaliser une biopsie d’un site métastatique afin de réaliser les
analyses génétiques à haut débit, ce qui n’est pas toujours
possible. De plus, la cellularité tumorale doit être suffisamment
élevée. Techniques : les outils d’analyse génétique à haut
débit utilisés en clinique doivent être validés. Cela signifie que
les résultats obtenus avec ces outils doivent être les mêmes que
ceux qui auraient été identifiés avec les méthodes de
référence. Biologiques : la biologie est le point clé de ces
essais dans lesquels des analyses génétiques à haut débit sont
conduites. La question essentielle est celle de la valeur
prédictive de la réponse aux thérapies ciblées des différentes
altérations moléculaires. Les algorithmes de traitement sont
l’hypothèse qui est évaluée dans ces essais. Se pose également la
question de la hiérarchi sation lorsque plusieurs altérations
moléculaires sont détectées. Statistiques : ces nouveaux essais nécessitent des
designs statistiques nouveaux, surtout lorsque de multiples
pathologies tumorales sont impliquées et lorsque les altérations
moléculaires sont de faible prévalence. Financiers : même si les coûts de ces technologies ont
diminué de façon drastique, ils sont élevés. Les essais de médecine
personnalisée coûtent cher et nécessitent des financements plus
importants que les essais cliniques classiques. Si le concept de
médecine personnalisée est validé, se posera la question du
financement des technologies afin qu’elles soient disponibles pour
tous les patients concernés. Éthiques : il est fort à parier que c’est l’exome
complet qui sera analysé dans un proche avenir. Cependant, cette
analyse nécessite l’étude du génome constitutionnel. Ceci soulèvera
des questions éthiques lors de la découverte de gènes de
prédisposition qui, de facto,impliqueront la descendance.
Conclusion
Les outils d’analyses génétiques à haut débit ne sont plus
exclusivement utilisés en recherche, mais font désormais partie de
la pratique clinique à travers les essais de médecine
personnalisée. Bien qu’il y ait beaucoup d’espoir dans ces
nouvelles technologies, elles ne sont pas d’utilisation simple,
mais sont associées à de nombreux défis.
Enfin, il n’a pas encore été démontré de façon formelle que
l’utilisation de ces outils permet d’améliorer le pronostic des
patients atteints de cancer.
Références
1.Ciriello G, Miller ML, Aksoy BA et al. Nat Genet2013 ; 45 :
1127-33.
2.Von Hoff DD, Stephenson JJ Jr, Rosen P et al.J Clin Oncol2010 ;
28 : 4877-83.
3.Tsimberidou AM, Iskander NG, Hong DS et al.The M. D. Anderson
Cancer Center Initiative. Clin Cancer Res2012 ; 18 : 6373-83.
4.Le Tourneau C, Kamal M, Trédan O et al.Target Oncol2012 ; 7:
253-65.
5.Andre F, Bachelot T, Commo F et al. Lancet Oncol[epub ahead of
print on February 6, 2014].
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