Vincent Lambert :
sans trancher, le Conseil d’Etat a déjà livré une analyse essentielle
Publié le 17/02/2014
Paris, le lundi 17 février 2014 – Comme nous l’indiquions dès
vendredi dans ces colonnes, saisi en référé liberté dans l’affaire
Vincent Lambert, le Conseil d’Etat a « ordonné qu’un collège de
trois médecins spécialistes des neurosciences réalise dans un délai
de deux mois une expertise sur la situation » du patient. Le
Conseil d’Etat souhaite en effet disposer d’informations «
complètes et à jour » sur l’état de santé de Vincent
Lambert : des données contradictoires ont en effet été présentées à
l’audience. Un médecin sur les sept praticiens sollicités dans le
cadre de la procédure collégiale conduite par le CHU de Reims s’est
notamment prononcé en faveur de son maintien en vie, tandis que la
mère de Vincent Lambert a laissé entendre qu’une forme de
communication était possible avec lui.
La loi sur la fin de vie ne concerne pas forcément la fin de vie
Pour la plupart, les proches divisés de Vincent Lambert ont
apprécié la sagesse des juges. Si ses parents qui sont opposés à le
laisser mourir ne pouvaient que se féliciter de cette nouvelle
expertise, son épouse favorable à l’interruption de son hydratation
et de son alimentation a constaté : « Si c'est le temps nécessaire
pour que les volontés de Vincent soient respectées, il faut
attendre ».
Au-delà de la famille de ce patient, on le sait, cette décision
du Conseil d’Etat a une portée nationale et est attendue par
l’ensemble des services de soins palliatifs en France qui tous les
jours s’interrogent sur les cas où peut ou non s’appliquer la loi
Leonetti. Or sur ce point, le Conseil d’Etat a déjà donné des
réponses essentielles.
La loi sur l’accompagnement des personnes en fin de vie
peut-elle tout d’abord s’appliquer aux patients qui ne sont pas en
fin de vie ?
Les avocats des parents de Vincent font en effet
valoir depuis des semaines qu’il « n’est pas en phase avancée
ou terminale d’une affection grave et incurable ».
Le Conseil
d’Etat a sur ce point considéré que « les dispositions de la
loi du 22 avril 2005 relatives à l’arrêt de traitement en cas
d’obstination déraisonnable peuvent s’appliquer que le patient soit
ou non en fin de vie ». « C’est la première fois qu’il est
affirmé par une juridiction suprême que la loi ne s’applique pas
qu’aux personnes en fin de vie » a remarqué Jean-Marc Sauvé,
vice président du Conseil d'Etat.
L’alimentation et l’hydratation : des soins qui peuvent être
considérés comme déraisonnables
Autre point crucial contesté par les représentants des parents
sur lequel le Conseil d’Etat s’est prononcé : l’alimentation et
l’hydratation peuvent-ils être considérés comme des soins. Là
encore, le Conseil a livré une interprétation qui sera sans
doute lue comme un soulagement par les services de soins palliatifs
qui appliquaient depuis des années la loi dans ce sens : il
considère que « l’alimentation et l’hydratation artificielle
(…) constituent un traitement au sens de la loi du 22 avril
2005 ». Néanmoins, il reste à définir si en l’espèce, ils
peuvent être considérés comme « inutiles » ou « disproportionnés »,
soit les critères qui définissent l’obstination déraisonnable.
L’incontournable juge
Ainsi, on le voit, alors que d’aucuns auraient pu reprocher ce
nouveau délai au Conseil d’Etat (quelques voix ont d’ailleurs
estimé que cela était contraire à l’esprit du référé liberté), la
haute juridiction a pris soin de revenir sur les points qui font
que l’affaire Vincent Lambert a une portée qui va au-delà de son
propre sort. Sur ce dernier, il estimait que la plus grande
prudence était nécessaire et ce nouveau délai indispensable en
raison du caractère « potentiellement irréversible » de la
décision. Si la « sagesse » du Conseil d’Etat a été le plus souvent
louée, il a été regretté qu’en ordonnant une nouvelle expertise
juridique, le rôle essentiel de décision des médecins soit
fragilisé. Plus prosaïquement, le neveu de Vincent a déploré «
l’usine à gaz » mise en place. N’en déplaise à ces
commentateurs, sans doute l’intervention du Conseil d’Etat confirme
la difficulté de faire l’économie d’une appréciation du juge dans
ce type d’affaire. Or, en refusant une véritable loi sur
l’euthanasie, en s’en remettant uniquement à une procédure
collégiale médicale, la France a voulu faire ce choix d’un
accompagnement de la fin de vie sans soutien judiciaire. Peut-être
en voit-elle aujourd’hui les limites.
Aurélie Haroche
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