Loi sur l’euthanasie aux mineurs d’âge: une nouvelle histoire belge
Je travaille depuis 1987
dans l’Unité Cancer de l’Hôpital des Enfants à Bruxelles et je suis,
avec mon collègue Yves Benoit de Gand, le cancérologue pédiatrique le
plus âgé encore en activité dans ce pays. Mais ce n’est pas à ce titre
que j’interviens dans cette carte blanche. J’interviens parce que depuis
1987, j’ai accueilli avec mes collègues 1250 enfants cancéreux dans
notre unité dont 260 sont décédés. J’interviens aussi parce que, en tant
que médecin directement responsable du traitement d’enfants atteints de
tumeurs cérébrales malignes, première cause de mortalité parmi les
cancers pédiatriques, j’ai été confronté jusqu’à présent à 84 décès
parmi les 270 enfants qui m’ont été confiés. J’interviens aussi pour
dire que oui, cela m’est arrivé d’injecter chez des enfants en fin de
vie, à l’Hôpital ou à la maison, des médicaments puissants contre la
douleur parce que j’étais démuni devant leur détresse.
À cette
époque, je rêvais de pouvoir disposer d’infirmières qui se seraient
rendues à domicile pour prendre en charge les enfants dits « en fin de
vie » ; je rêvais de pouvoir compter sur des médecins formés à la
complexité des soins palliatifs pédiatriques et je réalisais que pendant
mes deux années de spécialisation en cancérologie pédiatrique aux
États-Unis dans les années 80, l’aspect fin de vie n’avait pas été
suffisamment abordé et des modules de formation dans ce domaine
m’auraient été bien utiles.
Mensonge
C’était il y a
longtemps, très longtemps, quand Internet n’existait pas, que le beeper
sonnait dans ma poche quand j’étais de garde pour rappeler l’hôpital,
quand des Belges gagnaient encore des étapes au Tour de France. Alors,
oui, à cette époque où on allait en diligence faire les soldes à Londres
sans se mouiller les pinceaux, peut-être aurais-je compris l’existence
d’un projet de loi qui étend aux mineurs d’âge la dépénalisation de
l’euthanasie. Est-ce l’hawaïenne de ce soir qui est trop forte ? Est-ce
que mes rêves d’il y a 30 ans sont devenus réalité ? Vu ma perception
erronée des problèmes actuels, j’ai demandé à mes collègues
cancérologues pédiatriques chevronnées si elles se souvenaient avoir eu à
faire face à des demandes d’euthanasie par des enfants/adolescents : «
Non, m’ont-elles répondu »… mais elles mentaient sans doute. « Moi non plus » ai-je immédiatement répliqué… encore un mensonge ?
Mais,
nous dira-t-on, cela ne veut pas dire que ces demandes n’ont pas
existé, vous les avez tout simplement refoulées dans votre
subconscient ! En revanche, nous nous souvenons tous de parents
demandant instamment de ne pas prolonger la survie de leur enfant
inconscient et en fin de vie suite à l’échec de multiples traitements.
Mais cela n’est pas l’objectif du projet de loi récemment approuvé à la
Chambre. Non, non, cette loi concerne bien les enfants/adolescents
présentant des souffrances physiques non contrôlées et qui dans cette
situation à l’évidence sereine peuvent en toute objectivité et de façon
mûrement réfléchie demander une euthanasie active ! Et ils ont raison !
Mais oui, c’est bien connu, depuis 50 ans, aucun progrès n’a été réalisé
dans le contrôle de la douleur ! Et si progrès il y a il n’est de toute
façon pas applicable dans ce pays proche de la planète Mars qu’est la
Belgique ! Quant aux formations en soins palliatifs elles n’intéressent
personne ni médecins, ni infirmiers ! Mais oui, les cliniques
« douleurs » développées dans les hôpitaux ne sont qu’un leurre pour
attirer le chaland et lui faire croire qu’on s’intéresse à son problème
alors qu’on n’y comprend rien.
Une loi importante
Cette
loi est très importante car elle concerne un grand nombre imaginaire
d’enfants, car elle permet à des gens de se placer comme défenseurs de
la veuve et de l’orphelin en utilisant des prétextes fallacieux. Elle
est importante car totalement obsolète, seul critère de son existence
dans notre surréalisme noir/jaune/rouge ; importante car elle donne le
sentiment d’être Dieu avant Dieu et de pouvoir donner la mort à un
enfant avec la reconnaissance éternelle de sa famille sans oublier les
trois exemplaires à faire signer avec la copie bleue pour la commune ;
elle est importante car toi pédiatre tu n’y connais rien et ce ne sont
pas tes 84 décès qui vont changer quoique ce soit car moi au sein de
commissions stériles où je me gargarise de mots comme éthique,
responsabilité, altruisme et compassion, mots qui veulent dire le
contraire dès que je les prononce, moi je connais tellement mieux que
toi ce que je n’ai jamais vécu, ce délicat moment de fin de vie où l’on
est confronté devant la fausse réalité des faits et la vérité incertaine
des sentiments.
Alors me direz-vous, que signifie cette
mascarade ?
C’est tellement évident quand on sait qu’il y a des milliers
de problèmes de santé qui touchent tous les âges pédiatriques et qui
sont bien plus importants que celui dont fait l’objet cette loi qui
n’intéresse en fait personne sur le terrain. C’est clair qu’en passant
des heures à se faire aussi gros qu’un bœuf, à soigner son ego, à donner
du « Monsieur le Président », du « Je ne suis pas d’accord » et je tape du poing… et « la tranche de pâté pas trop épaisse Madame Michu »…
on évite d’affronter les vrais problèmes de santé qui minent ce pays,
problèmes qui eux demandent ce que l’on trouve chez les enfants en fin
de vie, leur famille et ceux qui les entourent, à savoir… du courage.
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