N’a pas pu choisir l’instant de sa mort
Publié le 15/02/2014
Amsterdam, le samedi 15 février 2014 –
Alors que la question de
l’euthanasie reste en France un débat passionnel (que ne
démentissent pas les récents commentaires suscités par l’affaire
Vincent Lambert), il est fréquemment rappelé que le débat a été
tranché depuis de nombreuses années dans deux pays voisins : la
Belgique et les Pays-Bas.
Ces derniers ont été les pionniers avec
l’adoption en 2001 de la première loi au monde dépénalisant et
autorisant l’euthanasie et le suicide assisté. Le texte avait été
proposé au nom des « Démocrates 66 » par Else Borst-Eilers, dite
Els Borst, alors ministre de la Santé, qui vient de mourir dans des
conditions mystérieuses à l’âge de 81 ans.
Il s’agissait selon elle d’encadrer légalement une pratique
tacite du corps médical, ayant cours depuis plus de vingt ans. Les
débats furent difficiles : Els Borst était en première ligne et
chacune de ses déclarations était passée au crible. Cette
"scrutation" ne s’interrompit pas après l’adoption du texte. Au
lendemain de cette dernière, Els Borst constatait dans une
interview « Tout est achevé ». Beaucoup virent alors dans cette
formule un écho aux derniers mots du Christ, ce qui fut ressenti
par les chrétiens néerlandais comme une offense d’autant plus vive
que la déclaration était publiée le Vendredi Saint. Une motion de
censure fut déposée contre elle visant spécifiquement cette
interview. Après le rejet de cette motion, Els Borst s’excusa.
L’auto critique était sans doute sincère : l’ancien ministre de la
Santé n’hésita pas à au cours de sa carrière à revenir sur ses
choix. A propos de la loi sur l’euthanasie, elle considéra même en
2009 que l’adoption de la loi avait été trop précoce et avait
freiné le développement des soins palliatifs.
Au pays d’Anne Franck
Ce sens de la critique, Els Borst, ne l’exerça pas uniquement
sur ses propres actions. Il y a quatre ans, celle qui fut
vice-premier ministre du gouvernement du social démocrate Wim Kok
jusqu’en 2002 revint sur le devant de la scène médiatique alors que
les Pays Bas étaient divisés par une polémique concernant le devoir
ou non du gouvernement de présenter ses excuses à la communauté
juive pour le comportement du pays pendant la guerre. Els Borst
était née en 1932 dans l’Amsterdam où se cachera Anne Franck. «
Je n’avais que huit ans lorsque les Allemands ont envahi notre
pays en 1940 et seulement treize, lorsqu’ils en ont été chassés. A
cet âge, vous êtes déjà averti de bien des choses. J’ai toujours
vécu à Amsterdam. Pendant la guerre, nous habitions le quartier de
Rivieren, où beaucoup de Juifs vivaient à l’époque. Nos voisins du
dessous étaient des Juifs et il y avait aussi des Juifs à quelques
maisons de la nôtre. Nous avons assisté à la façon dont ils ont été
encerclés et déportés. Cela m’a laissé une impression
indélébile » se souvenait-elle. Cette expérience et son sens
politique lui faisaient considérer que le gouvernement néerlandais
aurait dû présenter ses excuses à la communauté juive. « Si
j’étais Premier Ministre, j’aurais sans hésitation aucune, offert
mes excuses à la communauté juive néerlandaise »
déclarait-elle. Une prise de position qui avait été fortement
critiquée.
Au pays des gouvernements sans femmes
Il en aurait fallu plus pour faire chanceler Els Borst dont la
vie a été marquée par la détermination. Après les années de guerre
et ses études secondaires achevées, elle se destine avec passion à
la médecine : la pédiatrie et l’immunothérapie seront ses
spécialités. Pendant plusieurs années, elle va se partager entre la
médecine, la recherche, des fonctions administratives (directrice
médicale de l’hôpital universitaire d’Utrecht notamment) et la
politique. C’est à cette dernière vocation qu’elle se consacrera
pleinement à partir du début des années 90 : en 1994, ce membre des
Démocrates 66 depuis 1968 est nommé ministre de la Santé dans la
coalition du social démocrate Wim Kok. Pour Els Borst, sa présence
au gouvernement est un symbole. A l’époque, les gouvernements
néerlandais comptaient moins de 7 % de ministres féminins. Ce ne
sont cependant pas les sujets intéressant en priorité la santé des
femmes qu’Els Borst défendra avec le plus de vigueur. Outre la loi
sur l’euthanasie, sa présence au ministère de la Santé sera
remarquée pour ses textes sur l’expérimentation à partir des
cellules souches, la xénotransplantation ou encore l’interdiction
de la vente du tabac et de l’alcool aux mineurs. Figure politique
majeure dans son pays (elle devint même vice premier ministre) elle
essuya cependant quelques cinglants revers électoraux (comme en
1998). Elle connut également l’impopularité lorsqu’elle décida
d’imposer une cure d’austérité au budget de la santé, provoquant
selon les observateurs l’allongement des listes d’attente dans les
hôpitaux.
Au pays des assassinats politiques
Agée de 81 ans, Els Borst était depuis plus de dix ans en
retrait de la vie politique. Mardi 12 février, les journaux
néerlandais ont annoncé qu’elle avait été retrouvée morte à son
domicile de Bilthoven. Les conditions mystérieuses de son décès ont
conduit à l’ouverture d’une enquête judiciaire : l’ancien ministre
a probablement été assassiné. Pour l’heure, toutes les pistes
restent ouvertes. La thèse d’un cambriolage ayant mal tourné est
ainsi explorée, de même bien sûr que le meurtre politique. Il faut
dire qu’Els Borst comptait de nombreux ennemis. Le leader du
mouvement populiste Pim Fortuyn (lui aussi assassiné) avait ainsi
déclaré à propos de la loi sur l’euthanasie qu’elle avait « plus de
morts sur la conscience que Ben Laden ».
Aurélie Haroche
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