Cancer de la prostate : les robots poussent-ils à l’intervention ?
Paris, le samedi 4 octobre 2014 –
De plus en plus, en entendant
les mots « Da Vinci », le célèbre peintre italien du XVIème siècle
ou le best seller ésotérique du XXème ne nous viennent pas
nécessairement d’abord à l’esprit. Le formidable succès de
l’appareil conçu par la société Intuitive Surgival, qui depuis le
début des années 2 000 envahit les blocs opératoires américains,
européens et du monde est parvenu à faire connaître le robot
chirurgical « Da Vinci » au-delà de la sphère des initiés. Rançon
de la gloire, le dispositif n’a pas que des partisans. De plus en
plus, aux Etats-Unis, comme en France, des voix s’élèvent pour
dénoncer les dérives liées au robot star.
Des interventions non justifiées pour amortir le prix élevé du robot ?
Ainsi, dans les colonnes du Monde au début du mois de septembre,
le professeur Abdel-Rahmène Azzouzi, chef du service d’urologie du
CHU d’Angers prenait la plume. Il affirmait notamment dans cette
tribune qu’en raison de la nécessité d’amortir le coût important de
l’investissement d’un robot, les chirurgies du cancer de la
prostate, souvent non justifiées, avaient explosé. « Ainsi,
entre 2002 et 2010, le nombre moyen de systèmes de chirurgie
robotique par état américain est passé de 2 à 26,3. Dans le même
temps, le taux de chirurgie a augmenté de 37,5 % à 52,4 % et ce
principalement aux dépens de patients atteints de cancer de la
prostate à un state très localisé » citait notamment le
docteur Azzouzi se référant à des communications faites lors du
congrès de l’American Urological Association en mai. Le praticien
évoquait par ailleurs les recommandations faites en 2011 par
l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de santé
soulignant pour amortir les prix des robots la nécessité
d’augmenter le nombre d’interventions ! Dans cette dénonciation, le
professeur Azzouzi pointait du doigt l’absence coupable de réaction
dans ce dossier de l’Association française d’urologie (AFU). «
Elle n’a pas assumé son rôle de société savante » jugeait
ainsi sévèrement le praticien.
Les Français (encore une fois) bien différents des Américains
Ce n’est pas la première fois que l’AFU doit faire face à la
polémique. La position qu’elle a longtemps défendue en faveur du
dépistage systématique du cancer de la prostate lui a en effet valu
de nombreuses critiques et inimitiés. Aussi, n’a-t-elle pas laissé
passer cette nouvelle attaque. Ce 30 septembre, elle a adressé au
Monde son droit de réponse. Principal argument avancé contre la
thèse soutenue par le professeur Abdel-Rahmène Azzouzi : les
chiffres dont il se fait l’écho concernent les Etats-Unis et ne
seraient pas transposables à la France. « En ce qui nous
concerne, il est à noter que le nombre d’ablations de la prostate
en France est en baisse depuis ces dernières années : de 27 000
procédures en 2007, nous sommes passés à 17 800 en 2013
» avancent les professeurs Jean-Luc Descotes et le docteur
Christian Castagnola respectivement président et vice président de
l’AFU.
Les deux praticiens poursuivent en rappelant que dans ses
recommandations sur le traitement du cancer de la prostate
réactualisées en 2013, l’AFU ne fait nullement de l’utilisation du
robot une méthode de prédilection. Enfin, ils s’attèlent à une
défense en règle de l’AFU, réaffirmant son statut de « société
savante » s’illustrant notamment par sa participation à diverses
études scientifiques.
Un an plus tôt…
Le débat s’arrêtera-t-il là ? Pas si sûr, car il ne date pas
d’aujourd’hui. Il y a un an déjà, alors qu’aux Etats-Unis une étude
publiée dans le Journal for Health Care Quality évoquant une
sous déclaration d’incidents liés au robot Da Vinci et l’existence
possible de décès induits par sa mauvaise utilisation défrayait la
chronique, plusieurs spécialistes s’étaient exprimés en France.
Dans Libération, le professeur Michaël Peyromaure, chef du service
d’urologie à l’hôpital Cochin de Paris évoquait ainsi lui aussi
l’existence d’une inflation du nombre d’opérations pour amortir le
coût du robot. « Ce robot, il faut bien le rentabiliser. Alors
on abuse. On le fait tourner, beaucoup trop, d’autant qu’on ne peut
pas l’amortir. Tout le monde est sous pression ». Mais là
encore, on lui rétorquait l’impossible transposition de l’exemple
américain. « Les Américains ont mis trop de robots, partout,
c’est autre chose » assurait ainsi le professeur Alexandre de
la Taille, chirurgien urologue à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil
pour sa part fervent partisan de l’utilisation de Da Vinci.
D’autres assuraient encore que cette question de la rentabilité ne
se posait pas en raison d’accords particuliers. A la clinique
Toulouse Lautrec, le chef du service d’urologie, Olivier Brault
affirmait ainsi cité par la Dépêche du Midi : « Sur chaque
opération on perd 200 euros, c’est un accord qui est passé entre
les chirurgiens et la clinique », donc « plus on opère, plus
on dépense », un mécanisme permettant d’éviter l’éventuel caractère
inflationniste de cette nouvelle technique.
Sous déclaration des incidents liés au robot : pas de ça chez nous !
Mais outre les interrogations concernant une éventuelle
augmentation non justifiée des interventions, quid des
risques ? Là encore, après la publication de l’étude américaine,
beaucoup avaient estimé que la France n’était pas concernée par un
phénomène similaire de sous déclaration. Si une telle situation
existe, elle ne concerne pas spécifiquement la chirurgie robotique
estimait par exemple pour Destination Santé, le Dr Alexandre Le
Guyader, chirurgien thoracique et cardiovasculaire au CHU de
Limoges. De son côté, Nicolas Thévenet, directeur des dispositifs
médicaux de diagnostics et des plateaux techniques au sein de
l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) remarquait :
« Aux Etats-Unis où le robot a été rapidement déployé,
nous avons un effet volume que nous ne retrouvons pas en France.
Par ailleurs, chez nous, les incidents remontés sont le plus
souvent d’ordres techniques comme des pannes ou des problèmes
d’instrumentation ».
Même avec Da Vinci, tout le monde ne peut pas être chirurgien
Il est cependant un point sur lequel détracteurs et partisans du
robot pourraient tomber d’accords : le recours à Da Vinci ne
dispense pas d’une bonne formation chirurgicale. D’ailleurs une
enquête réalisée par l’ANSM auprès de 69 établissements pour
évaluer les effets indésirables du robot et dont les résultats ont
été présentés ce printemps confirmaient que si les événements
indésirables graves sont rares (une trentaine sur plus de 17 000
interventions), dans la majorité des cas (45 %) ils sont liés à un
manque d’expérience ou de formation du chirurgien. Des données qui
rappellent les conclusions d’une étude parue en 2013 dans le
Journal of the American College of Surgeons mettant en évidence le
fait que dans la chirurgie colorectale assistée par robot, les
résultats à court terme dépendaient… du chirurgien ! Une donnée qui
doit être prise au sérieux pour ceux qui s’inquiètent des dérives
liées au robot. Dans Libération, le professeur Peyromaure tonnait :
« Le robot change la donne : de mauvais chirurgiens se prennent
pour des experts. D’où un nombre conséquent d’incidents
opératoires ».
Aurélie Haroche
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