«Une agonie trop longue peut être terrifiante»
Au service des soins palliatifs de l'hôpital de Saint-Malo, le 13 juin. (Photo Fabrice Picard. Vu)
Interview Pour Didier Sicard, auteur d’un rapport sur la fin de vie, le dogme de la «mort naturelle» doit être dépassé.
En décembre, le professeur Didier Sicard (photo AFP),
ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), a
rendu un rapport au président de la République sur la fin de vie. Il s’y
inquiétait de la mainmise des médecins sur cette question et suggérait
de rendre contraignantes les directives anticipées, mais aussi de donner
un cadre à la sédation terminale et de ne pas diaboliser le suicide
assisté.
Comment vous paraît le débat sur la fin de vie aujourd’hui ? Est-il plus serein ?
Oui, à mon grand étonnement. Avoir un peu desserré les échanges, de
parler de mourir dans de bonnes conditions plutôt que de se focaliser
sur l’euthanasie, cela me paraît avoir rassuré et aller dans un sens
contemporain, celui de la liberté des personnes. Depuis mon rapport,
j’ai rencontré beaucoup de gens et je n’ai pas vu de crispation. Le
parallèle, que j’entends ici ou là, avec le débat tendu sur le mariage
gay ne me paraît pas juste. Je crois que tout le monde a compris que
l’essentiel est de travailler sur le concret, sur le respect de la
parole, sur le fait que l’hôpital ne capture plus ce thème. La médecine
doit demeurer à l’écoute, mais je reste frappé par la castration en
France de la parole des malades. On ne les écoute pas.
Vous êtes toujours partisan de rendre plus aisée la sédation terminale ?
Oui. A partir du moment où un arrêt des soins est décidé sur un
patient, la question centrale, me semble-t-il, est de ne pas le laisser
mourir en l’abandonnant. Lorsque quelqu’un est dans une situation grave
et refuse les soins, il s’agit de respecter sa liberté, mais comment ?
Ne pas réagir dans l’urgence me paraît certes une prudence nécessaire.
Pour autant, ne rien faire d’autre que se retirer me gêne. Le sentiment
de s’arrêter là, alors même que la médecine a engagé sa responsabilité,
me paraît poser un problème éthique. Bref, le laisser-mourir - ne rien
faire - me dérange.
Que faire, alors ?
La médecine doit respecter cette demande, sans avoir une sorte
d’effroi de la transgression. Naturellement cette demande du malade qui
veut que l’on arrête les soins est une demande de mourir : il ne veut
plus de traitement, il veut qu’on l’arrête. L’obliger à vivre une
agonie, que certains appellent «la peine de vie», est quelque chose dont je n’aurais pas envie. Quant aux éternels débats disant «mais c’est de l’euthanasie déguisée», ils me déplaisent, car ce n’est pas du tout la même chose.
Pourquoi ?
Ce qui me gêne dans l’euthanasie comme elle se pratique au Benelux,
ce n’est pas tant le geste en lui-même que son caractère programmé : on
décide qu’à 13 h 21, on va faire une injection létale, moment de rupture
radicale. Cela me paraît une demande faite à la médecine tout à fait
excessive. Ce n’est pas que les équipes qui la pratiquent en Belgique ou
aux Pays-Bas le font mal ou qu’ils auraient abandonné toute éthique
mais, à certains moments, l’acceptation de ce geste radical les met en
situation d’acteurs majeurs au lieu d’être des accompagnants.
D’où la sédation terminale qui doit, à vos yeux, rester dans un certain flou ?
La sédation doit intervenir à un certain moment, non pas dans une
rupture, mais dans une continuité du soin, comme un moment où le médecin
et le malade finissent par se retrouver sur cette volonté de mettre fin
à la vie. Il ne faut pas que le médecin ait un sentiment d’effroi.
Mourir en quelques minutes ou en quelques heures, c’est évidemment
différent. C’est important que la médecine ne donne pas l’impression que
son geste est létal. En même temps, la médecine ne doit pas déserter.
Donc, pas besoin de loi ?
La loi, je ne suis pas contre, mais je reprends volontiers cette phrase du juriste Jean Carbonnier : «Ne
légiférez qu’en tremblant. Entre deux solutions, préférez toujours
celle qui exige le moins de droit et laisse le plus de place aux mœurs
ou à la morale.» Je ne porte pas de jugement idéologique sur une
loi, mais je m’interroge sur son caractère opératoire : par définition,
une loi est faite pour définir des limites, or l’expérience prouve que
toute loi est confrontée à sa remise en question, jamais on ne prévoit
tous les cas, toutes les situations. Il y a une vraie difficulté à
écrire une loi qui soit à la fois prudente et permissive. Je trouve
l’exercice difficile. Ce n’est pas une position de principe, c’est un
constat.
Que pensez-vous des arrêts d’alimentation et d’hydratation, qui permettent ainsi de hâter la mort sans la donner ?
Avec la loi Leonetti, on avait estimé que c’était une bonne façon
d’accompagner un arrêt de traitement. Or on se rend compte qu’aussi bien
en néonatologie que pour les personnes âgées, ce n’est pas vivable -
symboliquement du moins, car organiquement cela passe. Symboliquement,
la famille a le sentiment que l’on attend la mort de son proche, que les
médecins ont fait un petit geste et puis se sont retirés sur l’Aventin.
Une agonie trop longue peut être terrible, terrifiante. Je me demande
parfois : comment a-t-on pu imaginer cela ? Comment une société
arrive-t-elle, de fait, à protéger ses institutions, comme la médecine,
plutôt que ses malades ?
Vous êtes sévère…
Mais c’est le registre du «pas vu pas pris». C’est se laver de sa
responsabilité en s’accrochant à l’idée de la mort naturelle comme une
bonne mort. Pourtant, cette vision peut devenir étrangement dogmatique :
ce n’est pas pour cela que la mort naturelle n’existe pas, mais il ne
faut pas lui donner une place trop centrale.
Quel est votre sentiment sur les directives anticipées, qui ne sont que consultatives ?
Si on rédige des directives anticipées, et si on sait qu’on ne va les
suivre qu’au coup par coup, ce n’est pas très encourageant. Lorsque
l’on écrit quelque chose, comme un testament, on a envie que cela soit
respecté. En même temps, je pense que ces directives ne doivent pas être
rédigées tout seul. Elles doivent l’être, pourquoi pas, avec son
médecin, cela donnerait à ces directives plus de poids.
Vous dites que dans votre rapport, vous avez entrouvert une porte sur le suicide assisté. Mais laquelle ?
On ne l’a pas recommandé, nous avons simplement dit que ce n’est pas
un geste immoral renvoyant à une transgression absolue. De fait, quand
quelqu’un dit «je veux que l’on arrête la perfusion», il y a
quelque part une notion de suicide. En médecine, l’assistance au suicide
existe, d’une certaine façon. On peut dire que le retrait de la
médecine est un accompagnement, mais il s’approche aussi de la médecine
du suicide. C’est pour cela que je pense que, pour un certain nombre de
personnes, au bout d’un long parcours de souffrance, si elles nous
disent qu’elles ne veulent pas que la dernière partie de leur existence
soit un prix trop lourd à payer alors qu’elles ont déjà acquitté un
lourd tribut, dans ces situations, dont chacun reconnaît l’existence, on
doit pouvoir faire un geste, et ce geste ne me choque pas en soi.
Comme en Suisse ?
Non. Le problème est dans l’organisation. Lorsqu’il y a une structure
spécialisée, cela finit par être un encouragement pour les personnes
plus fragiles, et cela peut même devenir une facilité. L’idée que l’on
puisse accéder facilement à cette situation me paraît mettre en jeu la
notion du «vivre ensemble». Ce n’est pas que je sois contre en soi, et
je ne suis pas contre le débat, d’autant que je ne suis pas favorable à
ce que la médecine se retire sur son Aventin, mais je suis contre la
délégation à des associations, comme en Suisse. Le prosélytisme existe.
En Suisse, il y a de la publicité et, de fait, vous ouvrez quelque part
un marché, cela crée une situation organisationnelle qui est contraire à
cette ultime liberté, au sens très intime du terme.
Plus généralement, comment faire pour combattre l’inégalité sociale devant la mort, comme vous l’avez pointé dans votre rapport ?
Si l’on réduit la question de l’inégalité de santé au simple fait de
demander la mort, on méconnaît que la vraie inégalité est autour du
savoir et de l’information. L’inégalité devant la mort est une des
expressions de l’inégalité devant le système de soins. Terminer sa vie
dans des conditions dignes, quels que soient ses revenus, voilà ce qui
me paraît plus important. Il faut s’interroger sur les conditions
générales autour de la mort.
Comment les jeunes médecins réagissent-ils à ces questions ?
Ils ont peur, car on leur renvoie un discours incompréhensible. D’un
côté, on leur rabâche de ne surtout jamais donner la mort et, de
l’autre, ils le voient bien, la médecine passe son temps à donner la
mort. Il faut sortir de ce désastre de la pensée. Et travailler cette
question en profondeur, et non pas en termes idéologiques.
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