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Thursday, August 1, 2013

Soins palliatifs et risques de dérives économiques

novembre 30, 2012  

Docteur Sylvain Pourchet
Médecin en unité de soins palliatifs

Dans cette phase de concertation nationale sur la fin de vie, l’Espace éthique/AP-HP propose différents éclairages dans le cadre de contributions qui ne sont pas représentatifs de ce que serait la position officielle de notre instance.
Comme toute innovation thérapeutique, la démarche palliative met du temps à s’imposer dans les esprits et les pratiques soignantes.
Pourtant en 20 ans, que de changements dus à la constance avec laquelle professionnels de santé et pouvoirs publics, conscients du défi représenté par ce changement de mentalité qu’ils représentent, ont maintenu le cap.
Les obstacles étaient pourtant nombreux : humains, conceptuels, etc. Regarder la fin de vie comme un objet de soin et pas un objet de fuite, s’approprier des réflexes thérapeutiques nouveaux, apprendre des techniques innovantes de relation d’aide, concevoir le travail interdisciplinaire dans une organisation hospitalière et sa culture du cloisonnement, intégrer les évolutions des droits des malades.
Jusque récemment, nous avons pu être confiants en constatant les progrès réalisés : amélioration des compétences permettant une meilleure prise en charge des symptômes (l’augmentation de la consommation de morphiniques en est un indicateur spectaculaire), multiplication des structures de soins palliatifs pour une meilleure couverture nationale, diffusion des lois encadrant les bonnes pratiques en fin de vie.

Alors que se passe-t-il ?
Nous assistons à une inquiétante période de régression. Des attitudes marginales de manque de soin, de maltraitance, d’acharnement thérapeutique, d’abandon semblent réapparaître dans une certaine indifférence.
Pire, les craintes qui pèsent sur l’avenir de l’hôpital semblent justifier – au moins dans les discours- des pratiques expéditives qu’auparavant on aurait critiqué. On voit ressurgir des considérations cyniques sur l’inutilité des soins en fin de vie : « superflus et couteux », là où il existerait tant d’autres priorités de santé…
Alors que l’expérience clinique de 20 années est aujourd’hui confortée par l’accumulation des preuves scientifiques démontrant la pertinence thérapeutique voire économique de la démarche palliative, sommes-nous moins vigilants, moins regardants, moins rigoureux…épuisés… ?

Un médecin travaillant en équipe mobile de soins palliatifs rapporte cette anecdote. Il voit un patient en hôpital de jour de cancérologie à la demande de l’oncologue avec lequel une collaboration est bien établie. Le cancer est évolué et les métastases progressent malgré les traitements. Les chimiothérapies ne fonctionnent plus. A son collègue pressé qui examine la prescription entre deux appels urgents il dit : « ne penses-tu pas que c’est le moment d’arrêter les chimiothérapies ? ». L’oncologue le regarde, hésite une seconde… : « tu as raison… mais je n’ai pas le temps » et prescrit une nouvelle chimiothérapie.

Tout s’accélère. Il faut faire vite, et surtout, il faut faire des actes. Annoncer à un patient l’arrêt de sa chimiothérapie est un temps médical complexe. C’est une consultation qui s’annonce longue et devra être suivie d’autres consultations du même ordre. Prescrire une chimiothérapie est quasi instantané. Qui plus est, cet acte, qui coute à l’assurance maladie, rapporte plus à l’hôpital, comme la plupart des gestes techniques, qu’une longue consultation.

De la santé financière des établissements, dont les déficits sont connus, dépend l’existence même de l’hôpital dans les années à venir. Une condition essentielle à la santé publique. On ne peut nier que s’installe une culture de l’acte rémunérateur qui vient colorer les décisions médicales d’une nouvelle dimension, non encore maitrisée.
Il est essentiel que la pertinence d’un acte médical ne mette pas en compétition d’un côté un acte médicalement inutile mais rémunérateur et de l’autre, une intervention adaptée mais « déficitaire ».
Pour continuer de se développer, la démarche palliative doit pouvoir continuer de compter sur la constance des moyens médicaux, légaux et financiers.
La diminution de la rémunération des hospitalisations en soins palliatifs doit cesser (-30 % en 3 ans) et les actes de réflexion, les temps de réunion, les moments de dialogue avec les malades et leurs proches doivent être valorisés comme des actes médicaux à part entière.

A cette condition, la dimension économique de la prise en charge d’un patient pourra être intégrée dans la construction d’un projet thérapeutique de façon juste et équilibrée.

Les discussions actuelles autour de l’euthanasie et du suicide assisté ne peuvent ignorer la fragilité du jeune édifice palliatif et les risques de dérives économiques liées au mode de tarification hospitalière. 
L’influence de ces éléments sera utilement pris en considération dans un débat qui aspire au respect des libertés individuelles.

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