Des urgences aux arbres, le savoir est composé d’histoires
Gilbert Zulian
Médecin, Genève, Suisse Correspondance : Gilbert.Zulian@hcuge.ch
Lieu de cauchemars
pour certains, havre d’espoir pour d’autres, cour des miracles pour
quelques-uns, les services d’urgences – et parfois d’accueil aussi –
cristallisent les imaginations, décuplent les énergies et révèlent le
jusqu’alors non visible ; ici, on maintient coûte que coûte le fil de la
vie, le rythme de la respiration et celui du cœur, on se réjouit, on
s’émeut ; là, on attend que la flamme s’éteigne, on se résigne, on
pleure, on crie aussi. S’il est un espace, un volume, qui résume notre
société, c’est peut-être là qu’il faut se rendre pour l’observer avec
l’admiration qu’il mérite et l’humilité dont il sait faire preuve. Ces
services, en même temps, constituent souvent la porte d’entrée
obligatoire vers les soins que chacune et chacun méritent de recevoir ;
c’est précisément là, dans celui de Dreux, que nous emmènent Anne, Eric
et Claude pour nous démontrer que la démarche palliative, celle du
palliativiste, peut aussi convenir à l’urgentiste lorsque des rapports
de confiance mutuelle sont établis, que l’environnement s’y prête et que
l’esprit de collaboration n’est pas qu’un amalgame de vains mots.
2 Savoir, un peu, beaucoup, (pas du) tout,
connaître le moment de la fin, être prêt à l’ultime affrontement, celui
dont on ne reviendra pas, et cela parce que la Loi des hommes le veut
ainsi. Oui, en effet, c’est un droit, le droit à l’information. Mais, de
l’autre côté du gué, ohé, ohé, le devoir d’informer ne peut-il
consentir à laisser s’exprimer la liberté d’ignorer ?
Savoir qu’on ne
veut rien savoir du tout – ou si peu – n’est-ce pas également
l’expression d’une autonomie bien comprise ?
Alors, subir – et non plus
recevoir – une information non désirée se transforme soudainement en une
action malfaisante ; pourtant, l’intention de bien faire présidait au
dialogue, fondateur lui de la relation singulière entre le médecin et le
malade ; mais dialogue présuppose que l’on soit deux, le lecteur et
Sophie par exemple qui nous entraîne au tréfonds d’un délicieux paradoxe
de plus face à notre mortelle destinée.
3 Raconter des histoires constitue sans nul
doute un lien avec autrui ainsi qu’avec soi-même et une manière bien
humaine de partager des faits, des émotions et des sensations. Notre
enfance en est parsemée, des belles, des joyeuses, des tristes, des qui
font peur aussi. Souvenons-nous donc de Hansel et Gretel pour mieux
plonger dans le ciel avec les montgolfières de Claire qui nous expose
tous ces petits riens, au rythme du quotidien d’une équipe et des
patients qui en constituent la raison d’être. L’étude de cas, l’histoire
d’une femme, celle d’un homme, ne s’inscrivent bien sûr pas dans une
démarche statistique randomisée (en double aveugle s’entend), elles en
représentent toutefois l’élément primordial avec lequel construire le
projet qui chaque jour fait poindre la lueur et qui chaque soir l’éteint
pour lui permettre – mais pas toujours, on le sait bien – de mieux
renaître le lendemain.
4 Parmi les arbres, il en est un, c’est
l’olivier qui réunit en lui la richesse de la Terre et la longévité de
la Vie ; il en est un autre, c’est le chêne, c’est celui de Tolkien et
du Seigneur des Anneaux qui réunit en lui toute la force de la
sagesse au point de presque dépasser le Créateur. En réalité, des
arbres, il en est bien sûr d’innombrables et peut-être avez-vous même
reçu le vôtre en forme de symbole et de continuité, planté au jardin ou
en forêt par un ancêtre ému à peine aviez-vous vu le jour ? Qu’on ne s’y
méprenne pas toutefois, l’épreuve des Trois Arbres fait appel au secret
de chacune et de chacun ; elle a réussi le test du Temps, elle. Benoît
nous l’offre et nous donne le moyen de pouvoir aussi nous projeter dans
notre propre intérieur au moment de peut-être clore les yeux ou de les
maintenir grands ouverts, juste encore un moment. Et les arbres, la
Nature le démontre, ne sont jamais aussi beaux, jamais aussi opulents,
jamais aussi admirés que dans les vieux cimetières.
5 Enfin, c’est avec délicatesse, retenue et
émerveillement que Sylvie et Dominique témoignent en silence ; ils nous
montrent comment le toucher vient doucement caresser l’âme et ils te
feront pleurer, Lectrice et toi aussi Lecteur. Nous n’en serons donc que
plus instruits.
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