Des hôpitaux bafouent la loi euthanasie
SOUMOIS,FREDERIC
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Samedi 17 novembre 2012
Santé Les témoignages se multiplient sur le non-respect de la loi par certaines institutions
Dix ans après l’entrée en vigueur effective de
la loi sur la dépénalisation partielle de l’euthanasie, l’organisation
qui a principalement contribué à porter le débat sur la place publique,
l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), en fait le
bilan. La loi actuelle est-elle satisfaisante, ou faut-il la modifier ?
Ne risque-t-elle pas d’être amputée dans l’avenir ?
Ses
responsables ont mené un vaste débat public cette semaine, en présence
d’un grand nombre de praticiens, médecins généralistes ou hospitaliers.
Certes, la loi semble plutôt globalement appliquée sans problèmes
majeurs. Le « tsunami » d’euthanasies promis par certains n’a pas eu
lieu. A l’inverse, les professionnels de la santé témoignent surtout
d’une augmentation d’un refus de toute euthanasie par certains
établissements hospitaliers. Concrètement, certains hôpitaux, parfois au
sein de leur comité d’éthique, conviennent de ne jamais pratiquer
d’euthanasie. Un médecin qui s’obstinerait à la pratiquer (et donc à
appliquer la loi) se voit mis à l’écart. « Cela se fera sournoisement. On ne peut pas le punir officiellement, mais sa carrière sera en suspens, il subira des brimades »,
témoigne un chef de clinique d’un grand hôpital. D’autres témoignent de
contrats de travail qui engagent explicitement le médecin à ne pas
pratiquer de geste d’euthanasie.
Ce qui aboutit à des situations dramatiques pour les patients. «
Je dirige une unité ambulatoire de soins palliatifs dans un grand
hôpital bruxellois. Comme cela peut arriver, je cherchais une place dans
un autre hôpital, plus proche de sa famille, pour un patient qui
nécessite de tels soins. Il y avait effectivement de la place dans ce
grand hôpital namurois, mais on a refusé le patient après avoir appris
qu’il avait fait une demande d’euthanasie », témoigne une docteure. Un autre renchérit :
« Je reçois fréquemment des patients d’autres institutions, sans que ce
transfert soit justifié pour des raisons médicales. Puis je finis par
comprendre qu’on me les a adressés, en fin de soins, parce que l’hôpital
où on les a soignés ne veut pas entendre leur volonté. Excusez-moi
mais, autant j’assume ce qui doit l’être avec mes patients, autant je
refuse d’accomplir systématiquement ce que d’autres refusent de faire. »
Le refus « institutionnel » d’appliquer la loi est illégal. Seule
l’objection individuelle de conscience est prévue par la loi. « Si
ces hôpitaux s’entêtent, des sanctions pourraient tomber. La loi sur le
droit des patients est clairement bafouée. Si les hôpitaux sont financés
par l’impôt, c’est pour rendre un service public. S’ils ne le rendent
plus complètement, ils doivent être sanctionnés financièrement », réagit le sénateur Philippe Mahoux (PS), coauteur de la loi de dépénalisation.
Philippe mahoux (PS)
« Imposer
au médecin
de réagir à
la demande »
L’un des pères de la loi, Philippe Mahoux, président du groupe PS au Sénat, épingle de nombreuses améliorations possibles : «
Il faudrait obliger le médecin à réagir dans la dizaine de jours qui
suit la demande. Soit il y fait droit, si les conditions sont
respectées. Soit il adresse son patient à un confrère. Mais on ne peut
pas abandonner son patient sans réponse. » Sur les mineurs : «
Quand il y a discernement, il faudrait qu’il y ait droit à bénéficier de
la loi. Mais il faut asseoir ce droit sur une sécurité juridique. » Le sénateur reste par contre perplexe pour les personnes atteintes de démences dégénératives évolutives : « La demande doit être réfléchie et volontaire. Comment, en cas de dégénérescence cérébrale, appliquer la décision anticipée ? »
Clotilde nyssens (CDH)
« Opposée à toute extension de la loi »
Clotilde Nyssens, ancienne sénatrice CDH, qui a mené le débat
lors des auditions préalables à l’adoption de la loi, reste opposée à
toute extension du texte, contre lequel tout son groupe avait voté à
l’époque. « Toute la philosophie de la loi actuelle est fondée sur la
capacité de la personne à décider, avec le médecin, de son choix de
vie. Les mineurs et les inconscients me semblent précisément des
personnes fragiles que la société doit protéger a priori. Si une
personne qui subit une maladie dégénérative exprime son avis, qu’est-ce
qui garantit que, avec l’évolution de sa maladie, sa conception reste la
même ? » La sénatrice, qui estime que la fin de vie est « de mieux en mieux abordée en milieu hospitalier », refuse d’allonger la validité de 5 ans de la déclaration anticipée.
Jacques brotchi (MR)
« Je suis pour une extension
de la loi
aux mineurs et aux déments »
Le sénateur et député communautaire Jacques Brotchi est
favorable à l’extension de la loi actuelle aux mineurs et aux personnes
démentes. « Certains craignent d’ouvrir la boîte de Pandore, mais je
peux témoigner que les enfants atteints de maladie grave disposent d’une
grande maturité. De même, l’imagerie peut nous permettre d’objectiver
la dégénérescence cérébrale. Il faut populariser la déclaration
anticipée, car seuls 2 % des patients qui arrivent à l’hôpital ont
préalablement exprimé leur conception. Il faut aussi supprimer
l’obligation de renouveler cette déclaration tous les 5 ans. C’est comme
un testament : celui qui veut le changer le peut à tout moment. » Attention : en matière éthique, le MR n’applique pas de consigne de vote.
cécile thibaut (ÉCOLO)
« La pénurie
de médecins est une menace »
Pour la sénatrice Cécile Thibaut, l’actuelle pénurie de médecins est une menace pour l’application correcte de la loi. «
Il faut une sécurité sociale solide et protégée des menaces actuelles.
Si ce n’était pas le cas, des possibilités de dérive qu’on ne connaît
pas encore pourraient apparaître. » Son groupe, qui avait largement
voté la loi, aujourd’hui dans l’opposition, a déposé une proposition
pour obliger le médecin qui désire faire jouer sa clause de conscience à
adresser son patient à un confrère. Une autre proposition Ecolo entend
supprimer l’obligation de devoir renouveler sa déclaration anticipée
tous les 5 ans. Par contre, aucune position de parti n’est définie pour
l’extension de la loi aux mineurs et aux déments. Mais les écologistes
seraient favorables à un débat sur ce thème.
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